Winshluss, alias Vincent Paronnaud, poursuit son œuvre de destruction massive avec J’ai tué le soleil (Gallimard), dans lequel il détourne les codes du récit post-apocalyptique pour mieux parler de l’Homme et ses névroses.
L’année dernière, du côté de la galerie Vallois à Paris, Winshluss exposait quelques-unes de ses œuvres (dessin, peinture, installation), toujours calibrées pour se moquer et régler des comptes avec un monde qui part à vau-l’eau. Parmi celles-ci, The Man Who Killed the Sun, datée de 2015. Dessus, il apparaît en slip, armé jusqu’aux dents, laissant derrière lui une ville en feu. Des symboles du libéralisme (IKEA) à différents personnages de la culture populaire (Bambi, Superman…), personne ne sort indemne de ce jeu de massacres, pas même le soleil, achevé d’une balle entre les deux yeux.
Six ans plus tard, l’auteur et réalisateur – on lui doit notamment deux belles collaborations avec Marjane Satrapi (Persépolis et Poulet aux prunes) – reprend le titre de son précédent travail et en conserve les mêmes visions cauchemardesques : la violence, l’apocalypse, la folie… Les célèbres figures du cinéma et de la littérature sont, elles, rangées au placard. Pourtant, Winshluss excelle dans leurs détournements, cyniques et sans espoir, comme en témoignent trois ouvrages majeurs de sa production : Monsieur Ferraille (2002), Pinocchio (Fauve d’or d’Angoulême en 2009) et Dans la forêt sombre et mystérieuse (Pépite d’or du meilleur livre jeunesse à Montreuil en 2016).
Malgré tout, celui que l’on connaît aussi pour une savoureuse parodie de la Bible (In God We Trust, 2013) ne perd rien de son mordant, toujours prêt à sonder l’âme pour mieux la servir sur un plateau peu ragoûtant. Car Winshluss, écorché vif, est animé par une obsession artistique, centrale à toute son œuvre : mieux comprendre sur ce «bordel qu’est l’être humain», qu’il aime mettre à nu. Tel un oignon, il l’épluche, lui ôte les couches pour le présenter à vif. Il poursuit : «Quand on réfléchit à ce qui nous constitue vraiment, si on enlève la culture, les traditions, l’enseignement… À la fin, qu’est-ce qui reste ? Les névroses, ces machins enfouis que l’on n’arrive pas à analyser.»
Le seul problème est de savoir utiliser ses névroses
Un peu prophète, lui qui parle régulièrement des conséquences du libéralisme à tout crin (crise financière, écologique, morale…), et de son absurdité, devait forcément un jour s’emparer du thème de l’après, celui ô combien porteur du récit post-apocalyptique, dans la veine d’une référence comme La Route de Cormac McCarthy. Ainsi, dans J’ai tué le soleil, on suit Karl, barbe hirsute et balafre sur le front. Il tente de survivre jour après jour dans une nature hostile. Et il s’en sort plutôt bien, quand il n’est pas surpris par un ours ou par une meute de chiens errants. Autour de lui, tout a été balayé par un virus mortel. Lui n’en garde aucun souvenir. Reste cette imposante cicatrice, qui justifie à elle seule cette amnésie.
Mais il n’en a cure, laissant sa mémoire se faner. «Un homme sans passé a forcément un avenir», glisse-t-il alors dans un sourire. Il est en effet trop occupé à trouver de la nourriture et à éviter les mauvaises rencontres, rassuré dans sa quête «survivaliste» par un fusil à lunette toujours prêt à être dégainé. Mais qui est-il vraiment ? Que cache son passé évaporé ? Va-t-il trouver d’autres survivants dans ce monde dévasté ? Et pourquoi est-il autant tourmenté par le soleil, à qui il veut régler son compte ? Ici, Winshluss traite de la notion de traumatismes qui façonnent toute une vie dans un récit aux allers-retours temporels, et au graphisme nerveux, en noir et blanc.
Un dessin sans concession, radical, rageur, déjà observé sur une précédente sortie, entourée de discrétion : Gang of Four (2017). Mais quand le pessimisme se fait trop pesant, l’auteur y ajoute de rares couleurs (dont un jaune, tranchant), quand il ne s’appuie pas sur de douces aquarelles pastel, surgissant sur de pleines pages pour adoucir le périple. Car suivre la trajectoire de Karl n’a rien d’une sinécure. Sans trop en dévoiler, avouons qu’il a la carrure de l’antihéros, pour ne pas dire celle du parfait cinglé, haineux, colérique. Reste cette citation de l’écrivain Arthur Adamov, qui ouvre l’ouvrage : «Le seul problème est de savoir utiliser ses névroses». Winshluss n’a pas la réponse, et préfère raconter le chaos qui se développe sur ces tourments. Les certitudes, il les laisse à d’autres. Lui observe, s’énerve et se marre.
Grégory Cimatti
L’histoire
Avec pour seuls bagages un sac à dos et un fusil, un homme marche en quête de nourriture. Jour après jour, alors qu’il paraît seul au monde, Karl tente de survivre. Sa blessure à la tête est sans doute la cause de son amnésie. Il avait pourtant un projet. Un projet qui devait le faire entrer dans l’Histoire…