C’est le héros de toute une génération, et celui qui a permis à la culture manga de s’imposer en Europe. Goldorak, 43 ans après ses premières batailles, est de retour avec une BD 100% française teintée de nostalgie. Culte.
Si le geste n’est pas toujours une réussite, avouons que cette mode de ressusciter des héros d’antan a du charme. Sous l’impulsion de nouveaux auteurs et illustrateurs, ceux-ci gagnent en effet en épaisseur et en maturité, tout comme l’histoire, souvent moins manichéenne et préoccupée par les enjeux actuels. Une renaissance qui, cette année, touche le plus grand de tous les robots de l’espace : Goldorak.
Une modernisation «100% française», portée par les éditions Kana, qui s’impose d’ailleurs dès la couverture : on y découvre, posé dans la main de son imposante machine, un Actarus qui a troqué sa veste à franges pour une en cuir, avec barbe de hipsters à l’appui et regard ténébreux. Le temps de la ferme, du cheval et du pantalon «patte d’éléphant» semble loin. L’époque est autre et la légende s’y adapte.
Pourtant, cette nouvelle version ne réinvente rien, fidèle de bout en bout avec l’œuvre de Gô Nagai. «Nous le remercions de tout notre cœur de nous avoir autorisés à jouer avec son Goldorak», explique même le quintette derrière le projet en fin d’ouvrage, qui lui a pris cinq ans. C’est que s’emparer d’un tel mythe n’est pas une mince affaire : rappelons que Grendizer (NDLR : son nom au Japon) a débarqué, avec succès, sur les petits écrans français à l’été 1978, devenant pour le coup précurseur de toute la culture manga en Europe. Rien que ça.
Un mix entre la BD franco-belge, américaine et japonaise
Oui, ce Goldorak est à voir comme une suite logique de la série animée et un hommage teinté de nostalgie, 43 ans après les premières batailles menées contre l’Empire de Véga. L’histoire reprend ainsi une dizaine d’années plus tard. Après 74 épisodes sur Antenne 2, on avait laissé le Grand Stratéguerre et ses troupes battus par Actarus et la Patrouille des Aigles. Mais voilà qu’une menace venue des confins de l’univers met en péril la paix durement acquise.
Xavier Dorison, Denis Bajram (scénario), Brice Cossu, Alexis Sentenac (dessin) et Yoann Guillo (couleur), tous fans de la première heure, réussissent ici un sans-faute sur 110 pages, agrémentées d’un long «making of». Respectueux de l’œuvre originale, de l’esprit comme de son genre, l’équipe en garde même le rythme, entre scènes d’action et plus intimistes.
Mieux, elle marie avec élégance les trois cultures majeures de la BD : l’américaine pour le côté grand spectacle «hollywoodien»; la franco-belge pour le savoir-faire et le découpage; la japonaise, enfin, pour la qualité de son animation et la science de ses personnages. Ceux-ci ont d’ailleurs pris de la bouteille, se retrouvant, comme beaucoup de quadragénaires, à un moment charnière où ils se demandent ce qu’ils vont faire de leur vie.
Un bon vieux morceau de Noam avant de décoller
On retrouve ainsi Vénusia interne en médecine, et Alcor en patron de société «high-tech», millionnaire capricieux et tête brûlée toujours prompt à se faire dégommer en premier par l’ennemi… Même le vieux fermier Rigel a vu les années défiler, désormais en maison de retraite… Actarus, lui aussi, a fait une croix sur les embrouilles : avec sa sœur Phénicia, il est reparti sur Euphor pour tenter de refonder une civilisation en mode «hippie», avec sa besace, ses graines, son chapeau de paille et ses cheveux longs.
Dans un Japon à nouveau en danger face à un monstre plus fort que tous les autres, qui vient d’éventrer le mont Fuji, l’ancienne escouade se reforme et retrouve ses appareils, jusqu’alors conservés dans le secret. À nouveau réunie au ranch du Bouleau Blanc, elle en profite pour écouter le bon vieux morceau de Noam («Il traverse tout l’univers / Aussi vite que la lumière / Qui est-il ? D’où vient-il ? Ce merveilleux robot des temps nouveaux»). Un clin d’œil humoristique qui n’enlève en rien la pertinence des propos.
La brûlante question migratoire mise en lumière
Car ce Goldorak aborde en effet, en creux, la brûlante question migratoire, avec des ennemis-colons qui viennent «en paix» (sous condition de quitter le Japon pour les laisser s’y installer). Et à travers un personnage d’Actarus encore plus mélancolique et fragile qu’avant, il interroge le coût de la guerre et affirme que la peur, comme l’ignorance, ne peut être un moteur, songeant à résoudre cette dernière bataille sans violence.
Bien sûr, si ça dégénère, le puissant robot pourra toujours sortir ses armes favorites, décrassées par le professeur Procyon : «Fulguropoing», «Astéro-hache», «Cornofulgur»… Avouez que ça claque encore aujourd’hui ! À travers ce beau retour, maîtrisé et plus adulte, les anciens se souviendront sûrement des faux combats de cour d’école et des folles chorégraphies entre mecs (les filles, elles, jouaient à Candy). Les plus jeunes, eux, pourront découvrir un morceau d’Histoire, qui a ouvert la voie à tant d’autres. Bref, en deux mots : mission réussie !
Grégory Cimatti
L’histoire
La guerre entre les forces de Véga et Goldorak est un lointain souvenir. Actarus et sa sœur sont repartis sur Euphor tandis qu’Alcor et Vénusia tentent de mener une vie normale. Mais, des confins de l’espace, surgit le plus puissant de tous les Golgoths : l’Hydragon. Alors que le monstre écrase les armées terriennes, les exigences des derniers représentants de Véga sidèrent la planète : sous peine d’annihilation totale, tous les habitants du Japon ont sept jours pour quitter leur pays et laisser les envahisseurs coloniser l’archipel. Face à cet ultimatum, il ne reste qu’un seul espoir : Goldorak.
Goldorak, de Xavier Dorison, Denis Bajram, Brice Cossu, Alexis Sentenac et Yoann Guillo.
Éditions Kana (Classics).