Après le western, le roman-photo ou le carnet de voyage, Fabcaro dynamite les codes du polar à l’ancienne. Un détournement qui, pour l’auteur, est surtout un prétexte pour s’amuser et se moquer de lui-même. Réjouissant, comme d’habitude.
Fabrice Caro est un auteur qui compte. De plus en plus. Ce qui n’a pas toujours été le cas depuis ses débuts, anonymes, il y a plus de quinze ans. C’est qu’il semble désormais avoir trouvé le rythme et son style, entraîné par une capacité, visiblement inépuisable, à sortir des âneries à la pelle et à détourner les situations du quotidien les plus banales. Ses références? Le grand-guignolesque à la Mel Brooks, la facétie des Monty Python et l’absurdité des Zucker-Abrahams-Zucker (Top secret!, Y a-t-il un pilote dans l’avion?…).
Aujourd’hui, beaucoup en effet succombent à son humour décalé et son imagination sans limite. C’est dire, même une maison aussi prestigieuse que Gallimard n’a pas résisté à sa loufoquerie, elle qui a édité ses trois romans (Figurec, Le Discours – adapté au cinéma – et Broadway). Côté BD, Fabcaro est devenu une curiosité à partir de 2013 avec Carnet du Pérou, puis un phénomène deux ans plus tard avec l’énorme succès de Zaï zaï zaï zaï.
Pour mieux saisir le personnage, dans le premier, il confectionnait un faux journal de voyage d’un pays dans lequel il n’a jamais mis les pieds (et répondre, au passage, à un genre alors à la mode, incarné notamment par Guy Delisle). Dans le second, il revisitait, façon road movie, le fait divers (et les réactions de différentes couches de la société) à travers l’histoire d’un homme qui n’a pas sa carte de fidélité à la caisse d’un supermarché… Ça pose l’ambiance!
Un pénis dessiné sur la joue
Toujours prompt à s’amuser de la culture populaire, Fabcaro s’était déjà frotté, par le passé, à certaines formes iconiques : le western (-20 % sur l’esprit de la forêt), la romance (Et si l’amour, c’était aimer?) et la tragédie (Formica). Avec Moon River, il récidive en s’emparant des codes du polar à l’ancienne, qu’il déconstruit dans un grand éclat de rire.
Car si son éditeur historique, 6 pieds sous terre, parle dans le résumé d’un «crime sans précédent» qui agite l’industrie du cinéma, il s’agit en réalité d’une célèbre actrice (celle d’Orgasmes bourguignons) qui se réveille, un jour, avec un pénis dessiné sur la joue… À partir de là, tout devient possible, surtout quand l’enquête est confiée au peu orthodoxe lieutenant Hernie Baxter.
Un nouveau délire qui se construit comme une vraie investigation policière : l’inspecteur (amoureux de la victime) fouille et interroge différents protagonistes : l’éternelle rivale, le réalisateur, le médecin légiste, le dresseur de chevaux, l’ex-mari, d’anciens amants (dont James Dean), des partenaires de jeu. Il doit composer avec un «corbeau» qui envoie des courriers anonymes (aux lettres découpées dans du jambon de Parme), se fait agresser en pleine rue par une barquette de moussaka surgelée, se lance dans une soirée karaoké endiablée et voit son travail troublé par la presse à scandales.
Une palette graphique qui étonne
Avec des traits qui s’enchaînent à l’identique, soulagés par une palette graphique qui (d)étonne – comme l’irruption d’un roman-photo ou ces pages en couleur (reflets du tournage improbable d’un western) – et des dialogues hilarants, Fabcaro en profite, comme une habitude, pour se mettre en scène dans une sorte de making-off livré à chaud.
On apprend ainsi qu’il souffre d’une sciatique depuis deux ans (conséquence d’une mauvaise position sur sa table à dessin), qu’il se fait engueuler par sa voisine quand il vient chercher du foin pour ses ânes et que cette histoire de «bite» dessinée n’est pas très sérieuse pour quelqu’un de son âge et de sa renommée – au point d’inquiéter sa famille… et son éditeur!
Une mise en abyme qui donne de la saveur et du souffle au rythme à l’ouvrage duquel, à tout moment, peut surgir n’importe quelle idée, aussi saugrenue soit-elle. Comme celle, ô combien osée, de saboter sa propre intrigue en dévoilant l’identité du coupable… dès la page 13! Une façon de rappeler que tout ça n’est que divertissement et rigolade. À ce petit jeu, Fabcaro est inébranlable. Du travail de pro, dirait sûrement Hernie Baxter…
Grégory Cimatti
Moon River, de Fabcaro. 6 pieds sous terre.
L’histoire
Hollywood, années 50. Au cœur de l’usine à rêves du cinéma, l’immense actrice Betty Pennyway est victime d’un crime sans précédent et particulièrement abominable. L’affaire fait la une de toute la presse et l’Amérique entière est en émoi. La police de l’État fait appel au peu orthodoxe inspecteur Hernie Baxter pour mener cette délicate enquête qui secoue tout le petit monde du 7e art.
C’est une investigation sombre et mystérieuse fouillant dans les recoins les plus obscurs de la ville de Los Angeles qui s’engage, un périple aux confins de la folie qui risque bien de le mener jusqu’aux portes de l’enfer…