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[Critique BD] «American Jesus», de Mark Millar : L’Évangile selon saint Mark


Netflix développe en parallèle l'adaptation d'«American Jesus» en série. (illustration image comics)

Panini Comics ressuscite American Jesus ! L’une des premières œuvres indépendantes de Mark Millar connaît enfin une suite éblouissante, quinze ans après le premier tome, réédité pour l’occasion.

Passé complètement inaperçu à sa sortie (en 2004 pour la VO, éditée chez Dark Horse; en 2006 pour la VF, éditée chez Bamboo), American Jesus n’a pas connu de regain d’intérêt lorsque son auteur, Mark Millar, a conquis le monde entier avec ses comics à succès Kick-Ass, Jupiter’s Legacy ou Kingsman. À l’origine prévu comme une trilogie, le premier volume, L’Élu, sera même resté fils unique pendant quinze ans, avant que le scénariste écossais et le dessinateur Peter Gross ne ressuscitent leur Messie pour terminer le miracle, épaulés par Netflix, qui a racheté le label Millarworld en 2017 et qui développe en parallèle l’adaptation d’American Jesus en série. Panini Comics, qui édite les versions françaises des œuvres signées Millar, a ainsi ressorti le premier tome en même temps qu’il a publié son impressionnante suite, Le Nouveau Messie.

Ce nouveau Nouveau Testament commence dans les années 1970, dans une petite ville rurale de l’Illinois : Jodie Christianson, 12 ans, survit miraculeusement à un accident dont on n’est pas censé sortir vivant. Ses parents lui révèlent la vérité : il est la réincarnation du Christ. Lorsqu’il commence à découvrir ses pouvoirs et à réaliser des miracles, Jodie devient la sensation de la ville, mais attire bien vite l’attention au-delà de la petite communauté…

Quinze ans et un statut de superstar des comics pour Mark Millar, c’est ce qui sépare les deux premiers tomes de la saga; on peut douter de la capacité de l’auteur à retrouver le ton tragicomique du premier volume comme on se réjouit d’un retour à ses origines de scénariste indépendant. De son propre aveu, Millar a tenté de reprendre plusieurs fois son American Jesus au cours des quinze dernières années, alors même qu’on lui proposait d’adapter le comic book en film (notamment par Matthew Vaughn, réalisateur des films Kick-Ass et Kingsman).

Ce qu’il lui fallait peut-être, c’était une intervention divine, au bon endroit, au bon moment. Peut-être fallait-il que le monde change, aussi : L’Élu a été conçu dans les premières heures explosives de l’administration Bush, au début de l’intervention américaine en Irak. Pas étonnant que ce premier volume affronte des thèmes comme la perte de la foi (avec le superbe personnage du pasteur, le seul à ne pas croire aux miracles de Jodie) et que plane l’ombre de Richard Nixon, du Vietnam et des secrets d’État.

Un retournement de situation génial

Il ne faut pourtant pas croire qu’American Jesus est une œuvre politique. C’est, à l’inverse, le contexte politique qui fait écho aux thèmes abordés par l’œuvre. Mark Millar aurait-il fait se dérouler l’action du Nouveau Messie à Waco s’il l’avait écrit au temps de l’administration Obama ? La ville du Texas, assiégée pendant 50 jours en 1993 avant que les agents du gouvernement n’ouvrent le feu sur un groupe religieux qui s’y était réfugié, avec un bilan de 82 morts (dont 25 enfants et le leader du groupe, David Koresh), est le théâtre du second volume, qui se concentre sur le vrai Messie – les apparences trompeuses étant un autre thème important de L’Élu, le premier volume se termine avec un retournement de situation génial : Jodie Christianson n’est pas le fils de Dieu, mais celui de Lucifer. L’intégrisme chrétien est un véritable sujet de société à l’ère Trump, mais Mark Millar prend le sujet à revers en imaginant son Jésus réincarné sous les traits d’une adolescente métisse, Catalina, qui vole littéralement la vedette au vrai leader de Waco qui, lui, n’apparaît jamais.

Il faut rendre hommage à Panini Comics qui, s’il offre toujours un sympathique écrin aux œuvres du Millarworld, met cette fois-ci vraiment en valeur le travail des auteurs, en particulier celui de Peter Gross. Les dessins, très riches, sont sublimés : il faut admirer le travail sur le clair-obscur dans L’Élu, et, dans Le Nouveau Messie, une magnifique scène de nuit sous la pluie et un dénouement cauchemardesque découpé en grandes cases (dont plusieurs pages pleines). L’éditeur ajoute à chaque fin de volume des extraits des dessins préparatoires et une discussion toujours enrichissante entre Peter Gross et Mark Millar, qui éclairent le lecteur sur leur travail autant qu’ils se plaisent à s’aventurer dans de désopilantes divagations.

Inutile de dire que l’on attend beaucoup du dernier tome, qui verra l’affrontement entre Jodie, devenu adulte, et Catalina, et dont la date de publication concordera avec la sortie de la série Netflix, qui transposera l’action des États-Unis au Mexique. Un double programme pour lequel on a raison d’être impatient, et qui promet assez d’action et d’émotions pour les siècles des siècles.

Valentin Maniglia