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[Critique] Avec «Triangle of Sadness», Ruben Östlund joue un sale tour


Le «triangle de la tristesse», c'est cette zone entre les sourcils que Yaya conseille à Carl, son petit ami, de relâcher, pour avoir l'air moins grincheux. (Photo : Fredrik Wenzel / Plattform)

Le nouveau film du trublion suédois Ruben Östlund, féroce satire contre les ultrariches, porte fièrement sa réputation de «film le plus dégoûtant» de cette sélection 2022. Un coup de génie qui en repoussera plus d’un.

Aucune chance que Ruben Östlund ne reçoive la récompense suprême du Festival de Cannes cette année. Le turbulent Suédois avait réussi son hold-up en 2017 – et tant mieux! – avec le génialement épuisant The Square, remis à l’unanimité par un jury haut en couleurs, présidé par Pedro Almodóvar et qui comptait Park Chan-wook, Maren Ade, Jessica Chastain ou encore Will Smith parmi ses membres. On le voit donc mal réitérer son coup avec le jury de Vincent Lindon, mais Östlund reste un auteur incontournable qui ne déçoit jamais, surtout quand il s’agit de secouer le standing du tout-venant cannois engoncé dans des costumes aussi mornes et répétitifs que le cinéma des frères Dardenne. Avec Triangle of Sadness, il persiste et signe : l’urgence rend la satire vulgaire, racontée avec une mise en scène incisive et un sens du récit qui manquent beaucoup au cinéma contemporain.

Le «triangle de la tristesse», c’est, apprend-on de la bouche de l’héroïne, la mannequin Yaya (Charlbi Dean Kriek), cette zone au-dessus du nez, entre les sourcils, que son petit ami Carl (Harris Dickinson) – mannequin lui aussi, avec moins de talent – ferait mieux de relâcher pour avoir l’air moins grincheux. Il n’a d’ailleurs pas de raison de l’être : le couple a gagné une croisière sur un paquebot de luxe, où ils croisent un oligarque russe, un couple d’Anglais ayant fait fortune dans la vente d’armes ou encore un riche homme d’affaires suédois. Rien ne se passe comme prévu lorsque le traditionnel dîner de gala du capitaine (Woody Harrelson, survolté) se déroule un soir de tempête, mettant en danger le confort des passagers.

Des muscles qui se relâchent, il y en a à gogo dans ce film fou et joyeusement crade qui tire à vue sur les ultrariches, avant de disséquer «sans filtre» (c’est le titre choisi par le distributeur français du film) et sans tabou les ficelles fondamentales du capitalisme. Östlund pousse le bouchon plus loin encore qu’il ne l’avait fait avec sa satire sur le monde de l’art contemporain, pour s’imposer en héritier du cinéma de Luis Buñuel ou de Marco Ferreri… Avec, en plus, une généreuse louche d’humour à la Troma (société indépendante new-yorkaise dirigée par le provocateur Lloyd Kaufman, qui produit à la pelle des comédies d’horreur politiquement incorrectes depuis 50 ans), à en croire l’inoubliable quart d’heure où le somptueux bateau est entièrement souillé par un feu d’artifice d’excréments et de vomi. Le Russe, à la tête d’un empire d’engrais et de produits fertilisants, déclare : «Je vends de la merde.» Quelques minutes plus tard, Ruben Östlund regarde avec délectation le capitalisme moribond se noyer dans son propre caca.

À la fois farce grotesque et fable, le film pervertit allègrement les rapports de force entre riches et pauvres, y compris à travers les notions de politique (le capitaine du paquebot est un communiste invétéré) et de travail. Après le naufrage du bateau, la troisième partie, qui prend pour décor une île déserte où une poignée de survivants ont échoué, renverse définitivement les rôles («Sur le bateau, je nettoie les chiottes; ici, je suis capitaine!», lance la femme de ménage Abigail, seul espoir de survie du groupe sur l’île) et délaisse l’écriture excessive pour l’analyse intelligente (mais toujours mordante). Et alors que la morale se profile à l’horizon, Ruben Östlund rectifie le tir final pour redoubler de férocité et de noirceur. Par souci de réalisme, pourrait-on dire.

Valentin Maniglia

2 plusieurs commentaires

  1. « Aucune chance que Ruben Östlund ne reçoive la récompense suprême du Festival de Cannes cette année. »
    Hum Hum…

  2. Mauvais jugement !!! Il vient de recevoir la Palme d’Or ! Revoyez vos critiques cher monsieur !!