Théoricien, collaborateur compulsif, chercheur infatigable, défenseur d’une culture totale… Les qualificatifs ne manquent pas pour définir David Byrne. Ils s’entendent au moins sur un point : l’ex-leader des Talking Heads n’a jamais fait les choses comme tout le monde.
C’est que dès 1974, il a été témoin et acteur d’une scène expérimentale en pleine ébullition. De quoi assouvir ses envies, ouvertes sur le monde, qu’il a matérialisées durant des décennies en mots et en musique.
Sur scène, son approche est aussi sensible, s’attelant à donner du sens au «spectacle vivant». Pour lui, un concert doit être joué de manière visuelle et avec intelligence. C’est pourquoi cet American Utopia ramène à un premier coup de maître : Stop Making Sense, filmé en 1983 par Jonathan Demme (The Silence of the Lambs, Philadelphia), à l’époque où David Byrne n’avait pas de cheveux gris.
On se souvient de lui, minuscule dans le Pantages Theatre (Hollywood), lançant Psycho Killer au seul support d’un radio-cassette. Un à un, à chaque nouvelle chanson, ses camarades de jeu le rejoignent, pour une performance mythique de l’histoire du rock. Toujours friand de bousculer les acquis, le musicien revient là à la charge avec un nouveau live de haute facture, sous le regard cette fois-ci de Spike Lee.
Recréer du lien, des «connexions»
Du nom de son septième album (2018), American Utopia fit un tour des scènes avant de s’installer plusieurs mois à Broadway (jusqu’en février 2020). L’idée derrière ce spectacle est simple : recréer du lien, des «connexions», aussi bien sur scène que devant. Sans ses Talking Heads, en retraite depuis belle lurette, David Byrne, 68 ans, est ici entouré de onze musiciens-chorégraphes-chanteurs aussi remuants que lui, s’agitant sur une scène immaculée où aucun instrument ne touche terre. Tout ce beau monde se croise, chahute, danse en cadence et martèle ses percussions dans une rythmique de tous les diables. Le Hudson Theatre en tremble encore.
Pieds nus, dans d’impeccables costumes gris, cette joyeuse bande, venant de multiples horizons (Brésil, États-Unis, France, Colombie), donne dans la démonstration, autant technique que stylistique. Des virtuoses aux tours de passe-passe, jouant sous les jeux de lumière. Pas égoïste pour un sou, David Byrne ressort ici de nombreux titres des Talking Heads (neuf sur une vingtaine de pièces), et dynamise au passage les siens. De quoi terminer le set à la queue leu leu, comme dans une batucada, au milieu du public.
Car oui, American Utopia, coincé entre concert et comédie musicale, répond à une obsession du musicien : toujours faire un pas vers l’autre, car la différence est une richesse. À Broadway, il ne s’est pas privé de le rappeler, évoquant l’importance du vote, de l’altérité, de faire du vélo pour respecter la planète… Mais aux mots, parfois naïfs, il ajoute le geste : d’abord avec son groupe multiculturel, avançant comme un seul corps. Ensuite avec cette chanson empruntée à Janelle Monáe (Hell You Talmbout) où, dans une incantation, sont évoqués les noms de victimes afro-américaines tuées par la police. À l’écran, leurs portraits défilent. C’est là qu’on se souvient que c’est Spike Lee à la réalisation, lui qui, jusqu’alors, s’était contenté de filmer le spectacle. Saluons alors son sens du retrait. Grâce à son approche directe, il fait de cet American Utopia un concert culte qui fera date. Un de plus pour David Byrne.
G. C.