Peut-on commencer une carrière américaine à 75 ans ? L’icône du cinéma espagnol Pedro Almodóvar traverse l’Atlantique pour The Room Next Door, son premier long métrage en anglais, une histoire crépusculaire sur le suicide assisté.
Paradoxalement, c’est avec son premier film «made in USA» aux ambiances froides et policées que Pedro Almodóvar, le réalisateur phare du cinéma espagnol, peintre de la libération des mœurs, du désir et des femmes, connaît la consécration, remportant le Lion d’or à Venise en septembre dernier.
The Room Next Door suit Ingrid (Julianne Moore), romancière angoissée par la fin de l’existence, et Martha (Tilda Swinton), son amie de jeunesse, ancienne reporter de guerre habituée à défier la mort, qui vit seule dans son bel appartement new-yorkais. En quelques flash-back, le film rembobine la vie de Martha : sa fille qu’elle n’a jamais élevée à cause de son travail et à qui elle n’a jamais parlé de son père biologique, ses compagnons auxquels elle ne s’est jamais attachée. Une femme forte, libre, mais solitaire.
Lorsque les deux amies se retrouvent, Martha est en phase terminale d’un cancer. Refusant un traitement incertain et éprouvant, elle décide de mettre fin à ses jours en prenant un médicament acheté illégalement sur internet. Elle prie Ingrid de l’accompagner dans ses derniers instants, en s’installant avec elle dans une somptueuse maison de location à la campagne, dans «la chambre d’à côté».
L’amie ne sera jamais loin mais n’aura pas à lui administrer la pilule, que Martha entend prendre seule, une nuit, derrière sa porte fermée. Elle lui promet que personne ne saura jamais rien de leur arrangement. Mais Ingrid va mettre dans la confidence un homme, joué par John Turturro, qui fut leur compagnon à toutes les deux.
C’est mon premier film en anglais, mais l’esprit est espagnol
Almodóvarien en diable sur le papier, le film est pourtant loin du bruit et de la fureur des comédies kitsch et provocatrices des débuts de l’enfant terrible du cinéma espagnol, mais aussi des sommets d’émotion de Todo sobre mi madre (1999) ou Hable con ella (2002). «C’est mon premier film en anglais, mais l’esprit est espagnol», a déclaré le réalisateur en recevant son prix à Venise, quelques jours avant son 75e anniversaire.
Il s’éloigne de sa veine autobiographique plus récente (Dolor y gloria, 2019) pour aller franchement vers le mélodrame, sans révolutionner la façon de filmer un sujet, l’euthanasie, régulièrement traité au cinéma.
Il tente quelques échappées politico-sociales, en dressant un parallèle entre la fin de vie et la catastrophe climatique. Le réalisateur souligne néanmoins avoir voulu «éviter de faire un film lugubre» et d’y avoir plutôt fait entrer la «lumière et (la) vitalité».
Almodóvar, dont les œuvres sont de plus en plus tourmentées par le déclin physique et la peur de la mort, est revenu sur le sujet en Italie : «Le film parle d’une femme qui agonise dans un monde qui agonise aussi probablement.»
«Je suis né dans la région de la Mancha, où il y a une profonde culture autour de la mort (…) Je me sens très proche du personnage de Julianne (Moore), je ne peux pas admettre que quelque chose qui est vivant doive mourir. La mort est partout, mais c’est quelque chose que je n’ai jamais compris (…) Chaque jour que je passe est un jour en moins qu’il me reste.»
Tourner aux États-Unis, en anglais, était un projet caressé de très longue date par l’Espagnol, auteur de La ley del deseo (1987) ou ¡Átame! (1989) et grande voix du cinéma européen.
Après quelques tentatives infructueuses à Hollywood, Almodóvar a choisi de situer son film sur la côte est, dans l’État de New York, la ville qui lui a ouvert les portes des États-Unis à ses débuts dans les années 1980.
Almodóvar a sorti en 2020 un premier moyen métrage en langue anglaise, The Human Voice, inspiré de Jean Cocteau, avec, déjà, Tilda Swinton. Trois ans plus tard, il a récidivé dans un format encore plus court avec Strange Way of Life, un western gay mettant en scène Ethan Hawke et Pedro Pascal.