« Bonsoir, Nightline, je t’écoute », « tu veux parler de quoi ce soir ? ». Cette ligne téléphonique gratuite pour étudiants en détresse n’arrête pas de sonner depuis mars, en France. Difficultés à trouver le sommeil, anxiété, dépression, la pandémie et les confinements à répétition minent le moral des jeunes Français.
Tous les soirs, entre 21h30 et 2h, ce centre d’appel géré par des étudiants bénévoles qui compte plusieurs antennes en France, reçoit des dizaines de coups de fil angoissés.
« Quand as-tu commencé à te sentir comme ça ? », demande l’un des 60 bénévoles, qui ont reçu une formation spécifique et s’alternent au téléphone pour répondre à des jeunes du même âge.
Pas question de donner des conseils directs, l’objectif est de prêter une oreille attentive, empathique et sans préjugés.
« C’est plus facile de vider son sac avec quelqu’un comme eux, qui peut comprendre ce qu’ils ressentent, sans ce rapport de hiérarchie qu’on a par exemple avec un psy », explique Daphne Argyrou, qui travaille pour l’association depuis deux ans.
Nightline a été créée en 2016 par un étudiant irlandais qui a importé ce concept anglo-saxon, frappé par le manque de structures dédiées à la santé mentale des étudiants.
En ce moment, « 40 à 50 personnes cherchent à nous contacter chaque soir », explique à l’AFP Florian Tirana, président de Nightline France. Le nombre d’appels a doublé par rapport à l’année d’avant, « avec une forte augmentation à partir du premier confinement », le 17 mars.
Dès la rentrée, il y a eu « beaucoup d’appels », selon M. Tirana, et « on a encore eu une augmentation avec le deuxième confinement », mis en place il y a 15 jours pour stopper une épidémie qui a déjà fait près de 47.000 morts en France.
Moral à zéro, tristesse, sensation d’isolement, insomnies et parfois un état dépressif émergent de ces conversations autour des « grands sujets un peu existentiels de la vie des étudiants » que sont « les problèmes relationnels, de solitude, d’angoisse par rapport à l’avenir et aux études », détaille M. Tirana.
Selon l’Observatoire de la vie étudiante OVE, pendant le premier confinement, près d’un étudiant sur trois (31%) a présenté des signes de détresse psychologique.
Etudiants étrangers
Particularité de l’épidémie de Covid, les étudiants étrangers appellent en grand nombre (12% du total, alors que Paris en compte 70.000).
Nightline dispose d’une ligne anglophone pour ces jeunes aux problématiques particulières: « c’est compliqué d’arriver dans un pays ou une ville dont on ne maîtrise pas complètement la langue, de se faire des amis, de s’adapter aux codes culturels », selon M. Tirana.
Avec les cours à distance, les bars, musées, théâtres et cinémas fermés, Inés, étudiante en architecture de 24 ans, trouve qu’elle a désormais « la même vie que ses grands-parents ». « Les deux parties de la population qui sont isolées, ce sont nous les étudiants et les personnes âgées ».
Du coup, elle broye du noir. « Le temps paraît long, vide de choses » alors qu’avant, elle était « occupée tout le temps », elle sortait beaucoup et ne se « posait pas de questions ».
« Je suis totalement crevée, j’attends juste de savoir si je pourrai rentrer chez moi pour les vacances (de fin d’année), je n’en peux plus, je ne dors pas super bien. En même temps je n’ai quasiment pas bougé de la journée ».
D’habitude, avec l’application qu’elle a téléchargé sur son téléphone, elle fait « 10.000 pas par jour, là j’en ai fait huit », soupire-t-elle.
Elle a consulté un psychiatre après une première crise de panique: « elle m’a fait comprendre que je souffrais de dépression », explique-t-elle.
Beaucoup d’étudiants se tournent vers les professionnels. Déjà « le système est englué en temps normal mais en ce moment, c’est carrément saturé », déplore Dominique Montchablon, cheffe de service à la Fondation santé des étudiants de France.
Selon cette psychiatre, la population étudiante cumule les facteurs de stress: inquiétudes pour leur santé, celle de leurs proches, tensions familiales quand ils sont retournés vivre chez leurs parents, sentiment de solitude s’ils sont confinés tout seuls, angoisse pour l’avenir.
Pour Mme Montchablon, il est indispensable de traiter ce mal-être car « les vulnérabilités qui se seront révélées pendant le temps universitaire vont se réactiver » dans la vie professionnelle: « c’est la question de la souffrance au travail et du burn-out ».
AFP