Après The Spy (2012) et Blackonblack (2015), Monophona, toujours hébergé par le label allemand Kapitän Platte et soutenu à la batterie par Jorsch Kass, sort un troisième disque, plus sombre et électronique que les précédents.
«L’ambiance du moment y est pour quelque chose !», confient, d’une même voix, la chanteuse Claudine Muno et le musicien Philippe Schirrer, alias DJ Chook. Rencontre.
Expliquez-nous ce titre, Girls on Bikes, Boys Who Sing ?
Claudine Muno : C’est d’abord un clin d’œil aux stéréotypes. Par exemple, longtemps, au Luxembourg, les femmes n’avaient pas le droit de faire du vélo. Quant aux hommes, on les voit toujours mal exprimer leurs sentiments en chanson. Et ceux qui le font, dans des cours ou dans un groupe, c’est pour faire du bruit ! (elle imite un chanteur de metal)
Philippe Schirrer : Il y a le rap, aussi !
C. M. : Ensuite, ce titre, c’est aussi un pied de nez aux jihadistes et aux autres extrémistes, qui voient le danger partout, devant une femme qui fait du vélo, donc, devant un homme qui chante l’amour… C’est un peu ridicule, non ?
Peut-on alors parler d’album engagé. On entend même Claudine crier dans une chanson ?
C. M. : (Elle rigole) Oui, on peut le dire, même si l’exercice est compliqué, car on peut vite tomber dans des leçons de morale… Mais avec tout ce qui se passe, il est compliqué de ne rien dire. On ne voyait pas le XXIe siècle sous cette tournure. On a vraiment l’impression que les choses se figent, et que l’on part dans une mauvaise direction. La religion prend de plus en plus de place, on remet en cause l’avortement… Les gens deviennent fous !
Cet album, c’est donc une forme de catharsis ?
C. M. : Toutes les chansons portent en elles ces préoccupations, qui prennent le pas sur l’intime. Aujourd’hui, il est difficile de prendre de la distance. La première chanson que j’ai composée pour cet album (NDLR : The Benefit of the Doubt), c’était dans la foulée de la tuerie de Charlie Hebdo, début 2015. Et la dernière parle de Donald Trump… Oui, il fallait que ça sorte !
P. S. : Quand on a fini l’album, on s’est dit que ça devrait coller avec l’ambiance du moment. Je pense qu’on a visé juste.
Est-ce pour cette raison que le folk – porté par la guitare acoustique – se fait moins présent aujourd’hui chez Monophona ?
P. S. : C’est vrai, mais c’est arrivé bizarrement, car Claudine ne voulait faire que de la guitare acoustique pour ce disque. Allez comprendre !
C. M. : Et je ne sais pas pourquoi l’inverse s’est produit…
P. S. : Personnellement, je n’allais pas me plaindre, car techniquement parlant, c’est plus difficile de bien faire sonner la guitare acoustique, qui prend beaucoup de place, avec l’électronique. La guitare électrique, je suis toujours preneur (il rit).
Au passage, l’électronique est également plus mise en avant…
P. S. : Ça tient à mes écoutes, qui influencent toujours mes productions. Pour les deux premiers albums, je m’ouvrais à d’autres styles, du folk au rock. Là, comme je me suis remis au mixage, l’électronique s’impose de façon plus évidente.
C. M. : Ça vient aussi du fait qu’avant, je donnais des maquettes finies. Pour les deux premiers albums, on n’a jamais été ensemble dans la même pièce… Mais comme il déconstruisait souvent ce que je lui proposais, on a fait preuve de pragmatisme. Et plutôt que de lui fournir une construction toute faite, là, je lui ai donné, au fur et à mesure, de toutes petites pièces, un peu comme des Lego…
P. S. : En six ans de collaboration, on a appris à se connaître. Quand je me rappelle le premier album, ce mariage folk-downtempo, j’en rigole encore. On ne savait pas du tout où on allait !
Sur scène, avez-vous aussi trouvé vos repères ?
C. M. : (Elle hésite) Quand c’est stressant, ça me heurte ! Je me souviens de concerts où il fallait plier bagage en cinq minutes, d’autres avec les ordinateurs empilés sur les toilettes. Et voilà que se présente le moment d’arriver sur scène, et on est juste une boule de nerfs. Ça, je n’aime pas. Pas moyen de bien faire…
P. S. : Pas sûr, toutefois, que ce soit mieux ce coup-ci (il rit) ! Plus sérieusement, les publics, et les endroits, ne se ressemblent pas. Il y a les salles où les gens sont assis – tout ça parce qu’on fait, apparemment, de la musique calme – d’autres où c’est la pagaille complète… Rock’n’roll !
Vous êtes labellisés chez Kapitän Platte, en Allemagne, et vous y entamez une tournée à la fin du mois. Aimez-vous vous y rendre ?
P. S. : C’est, en tout cas, le pays dans lequel on tourne le plus. Et ça marche mieux qu’ailleurs… comme en France par exemple.
C. M. : En France, il y a comme un mur entre nous et le public. S’il y a une chanteuse sur scène, elle se doit d’incarner un personnage, de mettre en place une ambiance dramatique. On nous dit parfois après (elle prend une pose maniérée) : « C’est bien, vous avez accroché les gens avec votre univers… » Mais ça veut dire quoi, ça ?!
Girls on Bikes, Boys Who Sing semble inspiré par la techno allemande. Monophona, c’est alors Trentemøller ou plutôt Björk et Portishead ?
P. S. : Depuis le début, cette comparaison, c’est une constante. Forcément, on prend les trois ! On ne va pas se gêner… C’est vrai que Trentemøller reste une référence pour la production, même si notre album a pris une tournure plus sombre.
Quelles sont vos attentes ?
P. S. : On va sûrement moins tourner qu’avant en raison de contextes familiaux changeants. Et on se met aussi moins la pression, chose qui pouvait me rendre malade. Aujourd’hui, si ça marche, tant mieux, sinon, pff…
C. M. : Au départ, on est entré dans un système musical que l’on n’avait pas cherché. Les showcases, les formations, trouver un label, un manager… Rien de tel pour tuer dans l’œuf la créativité. Regardez tous les groupes qui ont été propulsés dès le premier album, et dont on n’entend plus parler. Ma discothèque en est remplie ! Désormais, on invoque le temps… et la patience.
P. S. : Et c’est tant mieux, au vu des arnaques et des magouilles auxquelles on a été confrontés. C’était tellement fatigant…
Et Kapitän Platte, alors ?
P. S. : Ils sont simples, et cools.
C. M. : Quand on les a rencontrés, on a fait un concert où il n’y avait personne… sauf eux et l’ingénieur son (elle rit). Ils étaient d’ailleurs un peu bourrés. Pour le coup, j’avais même gardé ma veste tellement j’avais froid. Comme quoi, j’arrive à travailler mon univers scénique…
P. S. : On a toutes les libertés, et ça, ça n’a pas de prix. Ce qui les intéresse, c’est sortir de la musique, et que le disque soit joli. Et tout le monde est content !
Entretien avec Grégory Cimatti