C’est un «concert dessiné» que proposent ce mercredi soir les Rotondes : les Messins Jan Mörgenson et Nicolas Moog ont créé un spectacle à l’«ambiance lourde», avec pour thème la crise, mais à dévorer avec les oreilles et les yeux.
C’est l’heure de la pause déjeuner aux Rotondes. En entrant dans le Klub, on croise le dessinateur Nicolas Moog partir en mission pour trouver de quoi se sustenter. Le menu sera indien. Pendant ce temps, Jan Mörgenson fume une cigarette devant sa loge. Ensemble, les deux Messins ont mis en place un «concert dessiné», un format curieux d’une heure où l’un joue et l’autre lui répond en dessinant, déroulant un conte moderne, trop contemporain, même. «C’est les tribulations d’un petit personnage dans un monde dévasté, explique Jan Mörgenson. Au début, il est dans la nature, il fait des trucs sympas, il pêche, il cueille des pommes… Mais on découvre qu’il est un peu seul au monde.» Rejoint en cours de route par Nicolas Moog, le musicien raconte cette aventure dessinée, sur scène et en «live», et réfléchit autour des thèmes qui composent le spectacle, déjà complet, proposé ce mercredi soir aux Rotondes.
Avez-vous pu rejouer sur scène depuis le début de la crise ?
Jan Mörgenson : Oui, en France en tout cas, entre les deux confinements. On a préparé ce spectacle en août dernier à la BAM, puis j’ai fait quelques dates en solo en septembre, à Metz principalement. C’était un peu traumatisant… D’habitude, les concerts sont un espace de liberté. Là, il s’agissait d’un concert en extérieur, mais tellement cadré que je n’en revenais pas. C’est une habitude qu’il va falloir prendre, clairement. Des formes comme on a ici, où le public est assis et regarde un spectacle, se prêtent plutôt bien à la situation. Finalement, on peut peut-être encore faire des trucs, même si j’ai des tas de copains qui sont sur le carreau. Malheureusement, aujourd’hui, cette configuration est devenue la norme. C’est vraiment la première expérience de retour sur scène qui m’a choqué : je passais d’un monde « punk », où c’était un peu la zone mais très libre, à une configuration hyper stricte.
Ce spectacle invite simplement le public à entreprendre une réflexion sur le sujet de l’effondrement de la société occidentale
Le format du concert est-il une manière de répondre avec la création aux restrictions sanitaires ?
J. M. : En réalité, c’est un projet que l’on avait imaginé avant le début de la crise. On en avait parlé à l’été 2019, et on l’avait déjà présenté sous une forme plus simple, notamment aux Rotondes. Je voulais essayer de nouvelles choses et j’ai parlé de ce projet à Nico, en cherchant l’appui des institutions pour présenter quelque chose de plus cohérent et de plus travaillé. Il se trouve que la thématique du concert est l’effondrement de la société, la crise. Je ne veux pas dire que c’était prophétique, mais on sentait venir la chose… Dans ce spectacle, il y a beaucoup de morceaux que j’avais déjà écrits auparavant et quelques choses nouvelles.
Dans le milieu de la musique en particulier, mais aussi en général, on se pose des questions sur la marche du monde. Où arrive-t-on avec les politiques qu’on mène ? Je crois que beaucoup de monde sent que l’on arrive au bout de quelque chose, pour la société occidentale. Il y a de grosses remises en question, et tant mieux, mais il va falloir inventer de nouvelles choses pour que cela fonctionne sans qu’on détruise tout, y compris nous-mêmes.
Le concert dessiné a-t-il vocation à devenir une nouvelle forme de spectacle ?
J. M. : Ce spectacle invite simplement le public à entreprendre une réflexion sur ce sujet de l’effondrement, même s’il y a beaucoup de choses que j’aurais voulu dire en plus. Le concert dure environ une heure, il y a une dizaine de dessins. C’est ensuite au spectateur de mettre cela en relation avec le contexte actuel et de se poser des questions. Je vois ce spectacle comme une invitation à entrer dans ce questionnement, qu’on aurait tous dû entreprendre plus tôt.
Nicolas Moog : On avait déjà fait deux fois des concerts dessinés. Ça s’est popularisé au festival d’Angoulême. Quand on a commencé à en faire, on avait un dessin par morceau, selon son ambiance. Là, on s’est dit qu’on pourrait créer une histoire, comme un conte, sans la belle morale à la fin. Et ça va bien avec la musique de Jan.
On sentait cette montée en puissance de peuples qui disaient : « Il faut vraiment faire quelque chose parce que ça ne va plus. »
Ce climat politique et social d’une ère qui s’essouffle, on le sent depuis quelques années, avec #MeToo, puis les Gilets jaunes… Ces évènements ont-ils été un moteur dans la conception du projet ?
J. M. : Complètement. On a une conscience politique, Nico et moi, et on parle souvent de ces sujets. Tous les mouvements contestataires, citoyens, dans le monde, à commencer par les Gilets jaunes en France. On sentait cette montée en puissance de peuples qui disaient : « Il faut vraiment faire quelque chose parce que ça ne va plus. » J’aime bien aussi regarder des vidéos de survivalistes sur YouTube pour rigoler, il y a à boire et à manger : certaines choses sont très drôles, d’autres très intéressantes. Mais c’est un truc qui accompagne ces mouvements-là, comme une autre face de la pièce.
Le mariage de la musique et du dessin est assez inhabituel. Comment cette dichotomie a-t-elle alimenté le concept ?
J. M. : Dans les tout premiers concerts dessinés qu’on a fait, en groupe, Nico jouait avec nous sur scène et des collègues à lui dessinaient. C’était super ludique et rafraîchissant, même pour nous. Pour le public aussi, je pense : la première fois qu’on l’a joué aux Rotondes, les gens étaient avides de venir voir ce truc. On l’a refait après pour un public familial, et les enfants étaient émerveillés de voir un dessin apparaître sur l’écran. Ça amène de la magie. C’est devenu naturel pour nous, mais c’est une forme qui n’est pas encore très développée. Mais quand on s’est lancés dans ce projet, l’idée était de pérenniser la chose. Ici, par exemple, on est sur une ambiance assez lourde. Par contre, c’est vrai que l’ambiance est plus gaie et colorée quand on joue avec des enfants dans le public. Nico avait d’ailleurs utilisé des couleurs dans le spectacle pour enfants; ici, c’est seulement du noir et blanc, avec des touches de couleur pour pimenter le tout.
Entretien avec Valentin Maniglia