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Colmar : au musée avec une lampe torche


À la lumière des lampes, une vingtaine de curieux arpentent le musée Unterlinden à Colmar. Une visite de nuit, singulière, qui permet de jeter un nouvel éclairage sur les œuvres.

Un mardi de fin janvier, aux alentours de 18 h 30. La nuit enveloppe depuis déjà un bon moment Colmar, l’élégante Venise alsacienne. Dans le hall d’accueil du musée, célèbre pour abriter le fameux retable d’Issenheim, joyau récemment restauré, un groupe patiente tranquillement dans la pénombre. Ambiance intimiste, quelques bougies sur le comptoir où des alcôves éclairées de rouge apportent un peu de visibilité… À leur arrivée, la vingtaine de visiteurs se voient alors remettre une lampe de poche. C’est la seconde soirée de ce type qu’organise Unterlinden, après une première l’an passé pendant la nuit d’Halloween, explique Samuel De Nita, directeur du développement de l’établissement.

L’idée est toute simple : proposer un «nouveau regard» sur les œuvres, de «faire découvrir le musée de manière totalement différente», de «toucher un public plus large» et surtout, de montrer que c’est un lieu «accessible à tous», poursuit-il. Quand tout le monde est équipé, la visite peut alors commencer. D’emblée, le petit groupe, prend la direction du cloître du musée, construit au XIIIe siècle. Au sol, des bougies balisent le chemin. À l’extérieur, le froid de l’hiver alsacien pique les visages. Dans l’obscurité, une inquiétante forme encapuchonnée se dessine : c’est la guide de la soirée – en réalité une médiatrice du musée.

Une expérience hors norme, dans un lieu hors norme, dans des conditions hors norme

Forcément incollable, cette dernière brosse à grands traits l’histoire des lieux, tour à tour couvent («entendez donc les pas des religieuses sur les dalles!»), prison («les cellules des nonnes remplacées par des geôles putrides où grouille la vermine!»), hôpital, caserne, et enfin, musée. Le cliquetis des lampes électriques résonne dans la nuit, les faisceaux balaient les murs. L’assemblée emboîte le pas de la femme en noir qui, lanterne à la main, s’enfonce par un étroit escalier de pierre dans les entrailles du musée pour une visite des collections archéologiques, avant de filer vers la salle des sculptures.

Chaque étape est pour elle prétexte à un commentaire décalé sur une œuvre. Entre deux stations, les lampes se rallument, chacun tentant de grappiller un peu de temps pour observer les détails d’une statue ou encore d’un visage gravé. Devant des stèles funéraires (avec, pour l’ambiance, une musique sépulcrale en arrière-fond), la guide demande aux visiteurs de saluer la mémoire des défunts. Devant une «pharmacie», elle raconte ensuite l’histoire d’une Sœur Apolline qui a concocté pour une femme au cœur brisé un philtre d’amour… à base de digitale, une plante toxique. Le cœur de la malheureuse cessa de battre, «son mal d’amour était résolu», grince la guide.

Vient ensuite le moment (tant attendu) de contempler le fameux retable d’Issenheim, un polyptyque du XVIe siècle : il évoque la vie du Christ et la résurrection. Au moment d’entrer dans la chapelle l’abritant, on met les torches de côté car le retable est joliment éclairé par quelques projecteurs. «Regardez la vierge qui s’évanouit à la vue des souffrances de son fils», lance la guide devant la crucifixion. «Putréfaction, putréfaction, ô mort, ô mort», répète-t-elle comme un mantra aux échos sinistres, alors que des cloches sonnent au loin. La visite, longue d’un peu moins d’une heure, se termine, et les applaudissements retentissent.

«Une expérience hors norme, dans un lieu hors norme, dans des conditions hors norme», s’enthousiasme Emmanuel Chapotin, âgé de 54 ans. Cet hôtelier de Bergheim (Haut-Rhin) se dit particulièrement impressionné par «la scénographie qui met vraiment en avant le côté un peu mystique» du musée. Sabrina Reszka, consultante en recherche et développement, s’attendait quant à elle à quelque chose de «plus classique» mais au final, elle se dit «impressionnée». «On était en immersion. On est tout de suite emporté par la voix, l’ambiance…», confie cette Colmarienne de 45 ans. Quant à sa fille, Emy, collégienne de 12 ans, elle a tout simplement «adoré» : «Les décors, les lampes torches, que tout soit dans le noir. On se concentrait plus sur les éléments, on arrivait mieux à comprendre».