Dans une grande rétrospective sur Gabrielle Chanel, le Victoria and Albert Museum de Londres explore 60 ans d’une carrière qui a transformé la garde-robe des femmes. Et remue le passé trouble de la créatrice durant la guerre.
Le tailleur en tweed, le sac matelassé, le camélia… Peu de marques sont aussi reconnaissables que Chanel. Sa créatrice, Gabrielle «Coco» Chanel, décédée en 1971 à 87 ans, «est un pilier de la mode occidentale, une femme fascinante. Et un nom encore tellement présent dans la culture contemporaine», résume Oriole Cullen, responsable de la mode au Victoria and Albert Museum (V&A), le palais londonien dédié aux arts décoratifs et au design.
L’exposition «Gabrielle Chanel. Fashion Manifesto» a été créée par le Palais Galliera, à Paris, et réimaginée par le V&A, où elle s’est ouverte ce samedi. Elle commence aux débuts de Gabrielle Chanel en 1910 et se termine en 1971, avec sa dernière collection. Environ 200 modèles y sont mis en scène.
Gabrielle Chanel propose une nouvelle féminité, lançant une mode confortable, élégante mais simple, et des habits dans lesquels les femmes peuvent bouger à leur aise. La première pièce de l’exposition est d’ailleurs une blouse marinière de 1916 : c’est l’un des plus anciens vêtements créés par la couturière. Elle est en jersey de soie fine, un tissu destiné jusque-là aux sous-vêtements et aux bas. Pour le col, elle s’inspire des habits de pêcheur.
«Source fiable»
Dix ans plus tard, la couturière s’est déjà imposée au sommet. Elle lance la petite robe noire qui, un siècle plus tard, n’a pas pris une ride. En 1926, le Vogue américain ne s’y trompe pas et la qualifie de «robe que le monde entier portera». En 1921, elle lance Chanel N° 5. Le succès est là encore au rendez-vous : le parfum séduit Marilyn Monroe, et la reine Elizabeth II le reçoit en cadeau d’anniversaire. Aujourd’hui encore, il reste l’un des parfums les plus vendus au monde.
Gabrielle, qui est née dans la pauvreté et a grandi dans un couvent, parvient à se rapprocher de l’aristocratie anglaise. On la voit en photo aux côtés de Winston Churchill et aux courses de chevaux d’Ascot dans les années 1920 et 1930. Puis vient la Seconde Guerre mondiale. Elle ferme son magasin parisien, rue Cambon. Dans la capitale française, Gabrielle Chanel vit alors à l’hôtel Ritz, partiellement réquisitionné par le régime nazi. À 57 ans, elle tombe amoureuse d’un attaché d’ambassade allemand, Hans Günther von Dincklage.
L’exposition consacre une petite salle à cette période sensible. En juillet 1941, les autorités nazies enregistrent Gabrielle Chanel comme «source fiable», bien qu’il ne soit pas certain qu’elle en soit consciente. Son nom de code était «Westminster», son numéro, F7124. En décembre 1943, elle fait partie d’une opération secrète allemande, les nazis voulant utiliser ses liens en Angleterre pour entrer en contact avec Churchill.
Chanel résistante?
Cependant, si sa collaboration avec l’Allemagne nazie était connue, le V&A dévoile deux nouveaux documents selon lesquels, parallèlement, en janvier 1943, elle serait entrée dans la résistance française en tant qu’agent occasionnel. Dans un document daté de Paris en 1948, son nom apparaît dans un «état nominatif des agents occasionnels du réseau Éric». Le V&A montre aussi «une attestation d’appartenance aux Forces françaises combattantes» du 1er janvier 1943 à avril 1944. Le mystère s’épaissit donc encore autour de Gabrielle Chanel.
Après la guerre, elle part en Suisse mais finit par revenir au sommet de la mode. En 1954, à 71 ans, elle lance son célèbre tailleur Chanel en tweed. C’est selon Vogue, «le plus joli uniforme du monde». Le musée londonien en expose pas moins de 54 exemplaires dans une salle sur deux étages, dans des dégradés de beige, de gris, de rose. Le premier, un beige, était celui porté par la couturière elle-même en 1958.
L’exposition montre aussi ses robes du soir en lamé, et se termine dans une salle majestueuse, reproduisant l’escalier de sa maison de couture, au 31 rue Cambon, à Paris. On dit que du haut des marches, cachée derrière les miroirs, elle observait les clientes. Au V&A, c’est sa dernière collection qui est exposée sur l’escalier.