La chanteuse et multi-instrumentiste anglo-luxembourgeoise Claire Parsons, promise à un bel avenir sur la scène jazz européenne, a sorti son premier album en son nom fin mai. Alors qu’elle le partagera avec le public en fin de semaine, elle se confie sur cette nouvelle étape.
On la connaît comme accompagnatrice et compositrice de choix, à travers de nombreux groupes tels qu’Arthur Possing Trio, Aishinka, Archipélagos… Fin mai, c’est pourtant sous son propre nom que Claire Parsons s’est imposée, à travers un disque intitulé In Geometry. Si d’emblée, l’approche semble conceptuelle, le résultat, condensé (neuf titres pour 36 minutes), offre un beau voyage, intime et tranquille, qui passe par l’électronique, la pop, le folk…
Un album, donc, d’inspiration large, et de surcroît multiculturel, comme en témoigne le quintette qui l’accompagne – Eran Har Even (guitare), Jérôme Klein (piano), Pol Belardi (basse) et Niels Engel (batterie). Soutenue par le magazine allemand Jazz Thing, qui la voit comme l’une des espoirs de la scène jazz européenne, et alors qu’elle s’apprête, samedi, à présenter son disque en public (à la Schungfabrik), Claire Parsons se confie au Quotidien. Sans retenue, comme sa musique.
Un premier album est toujours important dans la carrière d’une artiste, son affirmation. Aviez-vous une intention de départ ?
Claire Parsons : Oui, je voulais que tous les morceaux sonnent naturellement, que le geste ne soit pas forcé. Quand on est musicien, et que l’on écoute d’autres albums, on se dit souvent « tiens, j’aimerais bien sonner comme cela! ». Avec In Geometry, j’ai réussi ce pari, celui d’imposer mes idées, ma signature, sans aucun stress. Bref, laisser couler la musique, afin qu’elle s’exprime sans retenue.
Cette approche instinctive implique tout de même de l’expérience et une préparation en amont, non ?
Tout à fait. C’était beaucoup de travail. J’ai notamment suivi des cours de composition au Conservatoire de Bruxelles, avec le fantastique pianiste qu’est Diederik Wissels. Son message était limpide : me donner de nouvelles pistes pour que je crée quelque chose qui m’appartienne. Ça n’avait rien d’évident, mais au final, ça m’a vraiment plu.
Vous qui avez collaboré, ces dernières années, avec de nombreux artistes, était-ce important de trouver votre propre voie ?
Quand on crée un album, on doit y voir plus clair. Savoir, en somme, ce que l’on veut, et comment y parvenir. Quand on fait des petits morceaux pour d’autres, un par un, on n’a qu’une vision parcellaire des choses. On est dans une sorte d’entre-deux. Un album nécessite, au contraire, un temps de maturation plus long. Et quand on consacre plus d’un an à l’écriture d’un projet, tout devient plus concret. Tout ce qu’on écoute, ce qu’on vit, ce qu’on ressent peut alors se matérialiser sur un disque. La musique porte tout cela… idéalement (elle rit).
Je pensais qu’In Geometry était un titre qui pouvait enrober beaucoup de thèmes, de facettes différentes de la vie. Car tout ce qui nous entoure est fait de trois éléments : la ligne, les points et les courbes. Tout s’articule autour de cette géométrie. Même la musique suit une logique mathématique! Aussi complexe que notre vie puisse paraître, on peut toujours revenir à ces trois composantes pour se restructurer, se réorienter…
Peut-on alors dire, dans ce sens, que la ligne droite, c’est votre voix…
Oui, on peut dire cela. Elle est toujours très frontale, très présente. Disons qu’elle permet de donner une certaine homogénéité à l’ensemble, permettant, finalement, aux chansons de s’exprimer par elles-mêmes, sans se soucier de suivre un certain fil rouge justement. De toute façon, ayant écrit les morceaux sur une même période, ils ont tous quelque chose en commun. Encore une fois, c’est un geste assez naturel.
D’ailleurs, au départ, In Geometry, avec ses choix narratifs, apparaît comme un album conceptuel. Il est pourtant, au contraire, très abordable…
Ce qui était important, c’est que cet album ne soit pas trop mathématique, trop froid, même si le titre pourrait suggérer le contraire. C’est pourquoi j’ai choisi pour la pochette cette illustratrice, Astrid Rothaug, qui, à travers un trait organique, combine le rêve et le concret, la métaphysique et quelque chose de plus tangible. Cette dualité correspond à la manière dont je pense la musique : un mélange entre le cœur et l’esprit.
À l’écoute de l’album, on est comme dans un cocon rassurant, où vous prenez l’auditeur par la main. Un voyage intime, en quelque sorte. Êtes-vous d’accord avec ce ressenti ?
Disons que l’on a passé près d’un mois en studio, notamment pour ciseler l’album. Travailler sur les compositions, les arrangements, les sons… histoire que chaque titre, bien que différent, puisse se lier à tous les autres, sans heurt. Finalement, essayer que l’album ne soit qu’un grand morceau, d’où, peut-être, cette sensation de voyage à travers différents petites portes.
De « petites portes » qui s’ouvrent sur l’électronique, la pop, le folk… Chez vous, le jazz est-il sans frontières ?
Oui, c’est quelque chose de libre, surtout vous entamez votre apprentissage par la musique classique (elle rit). Là, il faut se mettre à la place du compositeur, imaginer ce qu’il a voulu dire avec sa création. Bien sûr, on y met du sien, mais toujours à travers la vision de celui qui a écrit la partition. En jazz, comme dans d’autres styles, rien n’est fixe, tout peut être modifié. On a le droit d’être soi-même! Ce qui vaut aussi pour les musiciens qui vous accompagne, à qui l’on demande d’imposer leur patte, leur manière de jouer un accord, d’accompagner une mélodie… Oui, le jazz permet de s’exprimer sans retenue.
Tous les styles redéfinissent notre langage musical
Justement, peut-on parler de jazz européen, au vu du quatuor qui vous suit ?
C’est certain ! Je trouve aussi que ce côté hétérogène, et résolument moderne, c’est le futur du jazz, même si certains, plus traditionalistes, voient ça d’un mauvais œil. C’est étonnant car le jazz est né d’un melting-pot et poursuit, encore aujourd’hui, dans ce sens. Disons, aussi, que c’est une question de générations : aujourd’hui, on a accès, en un clic, à une masse infinie de sons. On ne reste alors plus cantonné à un registre spécifique, et tous les styles redéfinissent notre langage musical. On n’a pas d’autres choix que de les intégrer dans ce qu’on fait, simplement parce qu’ils représentent ce que l’on est. Et un album – surtout un premier – représente ce que l’on a vécu, ce que l’on a écouté…
Cet album est sorti fin mai, en plein déconfinement. Comment vit-il depuis quatre mois, alors que l’industrie et ses habitudes sont bouleversées ?
C’était étrange, bizarre : on ne voyait personne et chacun l’écoutait de son côté. Tout était distant. C’est juste à travers des messages privés, touchants, que j’ai pu, au départ, avoir quelques retours sur le disque. Et grâce à ma chouette attachée de presse en Belgique, les radios s’en sont ensuite emparées, et apparemment, ça leur a plu! Non, je n’ai vraiment pas à me plaindre.
Vous avez eu la chance, également, de retrouver la scène à deux reprises. Qu’est-ce que cela vous a fait ?
J’ai beaucoup aimé, même si j’avais peur, après cette longue période d’isolement et d’angoisse. Mais commencer par le Trifolion et ses « apéros » m’a permis de reprendre en douceur, devant un public bienveillant, chaleureux. C’était cool, intime… Puis est arrivé le festival de la Schungfabrik, avec des gens qui, en coulisses, se sont donné beaucoup de peine pour que ce genre d’évènements reprenne vie. C’est important de les saluer, et de faire de notre mieux pour qu’ils gardent l’énergie et la motivation de faire ce qu’ils font.
Samedi, vous présenterez enfin In Geometry en public. Qu’attendez-vous de cette soirée, où vous allez pouvoir partager votre album, non plus à distance, mais dans une certaine proximité ?
J’espère que le public se laissera porter par notre énergie positive, avec un live qui, forcément, proposera plus de solos que sur l’album, et plus d’audace. Disons qu’on ne pourra pas changer qui on est : il va falloir faire avec (elle rit) !
Entretien avec Grégory Cimatti
In Geometry, de Claire Parsons (Double Moon/ Challenge Records). «CD Release», samedi à 20 h. Schungfabrik – Tétange.