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[Cinéma] Zoom sur les grands films de 2025


Une Palme d’or aux couleurs de l’Iran et du Luxembourg, des récits du réel déguisés en fiction (et inversement), des blockbusters engagés, des romances, des frissons et un parfum de révolution… Voici un petit panorama des meilleurs moments de cinéma de l’année.

La révolution en peignoir

One Battle After Another / Paul Thomas Anderson / Comédie dramatique

À époque extrême, film extrême. Paul Thomas Anderson offre pour son dixième long métrage un blockbuster assumé, avec tous les éléments appropriés : de l’action à gogo, un rythme mené tambour battant et un casting prestigieux. Leonardo DiCaprio y incarne Bob, un contestataire ramolli et un père raté, surprotecteur quoiqu’incapable de préserver sa fille adolescente des pires dangers. Et lorsque Willa est kidnappée, le voilà contraint de reprendre du service. La patte visuelle de «PTA» est là dans toute sa gloire, avec «long shots» et plans-séquences intranquilles, cadres serrés sur les visages de ses stars, montage chirurgical et paysages éblouissants qui occupent toute la largeur du 70 mm. À la fois son film le plus intime et le plus politique, One Battle After Another est l’œuvre de tous les excès, en équilibre entre des opposés qui s’attirent (d’un côté, les terroristes gauchistes, méfiants et révoltés; de l’autre, le pouvoir, raciste, pervers et misogyne) et remplie de rôles mémorables, de l’infâme militaire incarné par Sean Penn à un Benicio del Toro parfait en ange gardien qui ne quitte jamais son kimono. Le réalisateur signe la fresque majeure de notre époque, faite pour durer encore au moins une génération – celle de nos prochaines batailles.

Une mort sans fin

Mickey 17 / Bong Joon-ho / Science-fiction

Comme Paul Thomas Anderson, Bong Joon-ho est de ces rares auteurs de cinéma qui, inlassablement, créent des films-mondes, preuve qu’ils sont l’un comme l’autre parmi les conteurs les plus importants de notre époque. La nouvelle œuvre du Coréen était largement attendue, six ans après le carton mondial – critique, public et en festivals – de Parasite. Et, comme Paul Thomas Anderson, il opère un retour fracassant du côté du blockbuster américain. Le Mickey qui donne son titre à cette folle odyssée de science-fiction est engagé sur un vaisseau spatial en partance vers une planète à coloniser. Son travail? Mourir, dans des missions dangereuses ou des expérimentations scientifiques, selon le bon vouloir de ses employeurs, pour être «réimprimé» à l’infini. Cinéaste singulier s’il en est, Bong Joon-ho – qui avait déjà goûté au film hollywoodien à gros budget avec l’excellent Snowpiercer (2013) – dévoile à nouveau un univers plus grand que nature pour faire une critique acerbe du monde actuel, montré sous ses aspects les plus laids (l’autoritarisme, la vanité du pouvoir…) avec des références évidentes à Donald Trump et Elon Musk qui rendent le commentaire d’autant plus jouissif. Le tout est couronné par la géniale performance de Robert Pattinson dans le rôle de Mickey et de ses clones.

Arme de contestation massive

Un simple accident / Jafar Panahi / Drame

Il fallait marquer le 24 mai 2025 d’une pierre blanche pour l’industrie du cinéma au Luxembourg : celui de sa première Palme d’or cannoise, remportée par Jafar Panahi pour Un simple accident. Avec son nouveau film, coproduit au Grand-Duché par Bidibul Productions, le maître du cinéma iranien indépendant exorcise sa récente période d’emprisonnement à travers l’histoire de Vahid, un ouvrier de Téhéran, qui croit reconnaître une nuit son ancien tortionnaire, embarquant alors d’autres de ses victimes, jadis emprisonnées elles aussi, dans sa quête de vengeance. Réalisé clandestinement – comme les films que Panahi a tournés ces quinze dernières années, tous interdits par le régime des mollahs –, ce conte moral à hauteur d’homme a un goût de thriller politique et s’impose comme son film le plus ouvertement critique des autorités iraniennes : le cinéaste y reprend au mot ou au détail près les récits de prison et de torture qu’il a vus ou entendus durant sa détention. Un pamphlet magistral, forcément teinté d’absurde, qui commence comme un fantasme et se mue en une réflexion puissante sur les extrêmes vers lesquels peuvent amener les traumatismes.

Godard par Linklater

Nouvelle Vague / Richard Linklater / Comédie

C’est un objet de culte et une référence pop de premier choix qui a marqué les débuts de la «Nouvelle Vague» française, à tel point que l’on oublie qu’À bout de souffle (1960), le premier long métrage de Jean-Luc Godard, est né comme un objet radical, insolent et chahuté. Fasciné par les personnages qui se mettent en scène et les électrons libres, l’Américain Richard Linklater s’emploie à reconstituer l’histoire de la production chaotique du film, façon «making of». Le résultat, sobrement (mais pas moins joyeusement) intitulé Nouvelle Vague, est un modèle de mise en scène immersive, appuyée par un petit côté fétichiste avec pellicule noir et blanc, recréation minutieuse du Paris de 1959, comédiens inconnus et formidables (comme dans À bout de souffle) ressemblant comme deux gouttes d’eau aux originaux et précisions historiques qui trahissent un côté «geek». Après tout, dans le panorama du cinéma américain, Richard Linklater est le seul à incarner la notion d’«auteur» au sens «godardien» du terme, et avec autant de sincérité. Loin d’un essai cinématographique quelconque et assommant, le film refuse de théoriser, de philosopher ou de scruter la psychologie complexe de Godard, pour embrasser dans sa totalité le chaos jouissif de l’un des gestes artistiques les plus décisifs de la seconde moitié du XXe siècle.

Les yeux de Gaza

Put Your Soul on Your Hand and Walk / Sepideh Farsi / Documentaire

Pendant un an, Sepideh Farsi, cinéaste iranienne exilée à Paris, et la photographe gazaouie Fatma Hassona ont échangé par écrans interposés, cette dernière chroniquant la vie à Gaza en proie aux incessants bombardements israéliens. Jusqu’à ce que l’un d’eux la tue avec dix membres de sa famille, le 16 avril dernier. «Fatem» incarne tout un paradoxe : celui d’une femme libre d’exercer son travail de photojournaliste et de le partager, mais dans un environnement où le danger de mort est constant. Sepideh Farsi n’a jamais pu aller en personne à Gaza pour rencontrer la jeune femme, mais l’amitié longue distance qu’elles ont nouée en temps réel devant sa caméra est puissante. Surtout, elle permet d’exprimer ce que non seulement la fiction, mais aussi les bulletins d’informations, ont été jusqu’ici incapables d’expliquer : l’impuissance des Gazaouis comme des sympathisants extérieurs face à l’enfermement, la guerre et la destruction programmée, mais aussi la dignité et le courage sans limites d’un peuple traité de façon inhumaine. À travers son dispositif minimaliste qui le fait ressembler à un «home movie», Put Your Soul on Your Hand and Walk est terrassant d’émotions, d’humanité et de vérité. Sans aucun doute le film le plus important sur la guerre à Gaza.

En quête de vérité

I’m Still Here / Walter Salles / Drame

Premier film brésilien à décrocher un Oscar (celui du Meilleur film international en mars dernier), le nouveau long métrage de Walter Salles (Central do Brasil, Diarios de motocicleta…) suit une certaine tendance du cinéma d’Amérique latine à replonger dans ses heures sombres et ses mystères politiques. En 1971, dans le Brésil de la dictature militaire, le film suit les traces de Rubens Paiva (Selton Mello), député travailliste enlevé par les autorités. Loin de vouloir prétendre narrer ce que l’histoire a gardé caché, Salles se place du côté du vide laissé par la disparition de Paiva et entreprend la chronique familiale de celles et ceux qui luttent contre l’oubli. À la fois chronique familiale et devoir de mémoire, Ainda Estou Aqui assume le classicisme de sa mise en scène pour rendre le plus accessible possible sa dissection des ravages de vingt ans de dictature. Au cœur du récit, Eunice Paiva, l’épouse du député, et son combat incessant pour la vérité; dans le rôle, Fernanda Torres, lauréate d’un Golden Globe de la meilleure actrice largement mérité, livre une prestation héroïque, un modèle de courage et de droiture.

Romance en chanté

Partir un jour / Amélie Bonnin / Comédie

Cécile, cheffe cuisinière talentueuse, s’apprête à réaliser son rêve d’ouvrir un restaurant gastronomique. Mais la vie la contraint de retourner dans son village d’enfance, au chevet de son père; là, elle subit le procès en trahison de ceux qui ne sont jamais partis. Surtout, elle recroise la route d’un amour inachevé, Raphaël, un garagiste fan de moto dissimulant son intranquillité sous une forte tête. Partir un jour réunit la chanteuse Juliette Armanet et l’acteur césarisé Bastien Bouillon dans une comédie douce-amère où ces personnages en mal de communication expriment leurs sentiments en chansons. La bande-son, irrésistible, accompagne cette quête de soi et enrobe le romantisme de ce premier film sincère, généreux et inventif signé Amélie Bonnin.

Panique en Amérique

Weapons / Zach Cregger / Horreur

Si Weapons pouvait se disputer le titre de meilleur film d’horreur de l’année (voir Together), c’est parce qu’il vise bien au-delà de la niche des fans du genre. Déjà par son intrigant postulat de départ : dans une petite ville de l’est des États-Unis, 17 enfants sortent de chez eux en pleine nuit et disparaissent à la même heure. Ensuite, pour sa façon de tenir le mystère, découpant le récit en six points de vue différents (l’institutrice, le père d’un disparu, l’enfant survivant…). Et, en bout de course, une fable horrifique originale, palpitante et jubilatoire, dont la structure en chapitres, comme autant de trajectoires psychologiques ancrées dans le réel, traduit aussi l’individualisation et les angoisses du monde d’aujourd’hui.

Bijou de famille

Vittoria / Alessandro Cassigoli et Casey Kauffman / Drame

Jasmine est coiffeuse à Torre Annunziata, l’une des villes les plus pauvres du golfe de Naples. Heureuse au travail et en famille, elle est hantée par le rêve récurrent d’une petite fille. De peur de tomber enceinte d’un quatrième garçon, et malgré l’incompréhension de ses proches, elle décide d’entamer des démarches d’adoption afin de combler son désir. Alessandro Cassigoli et Casey Kauffman marient l’œil et leur démarche de documentaristes avec la veine intimiste et sociale de la fiction, façon frères Dardenne, en faisant rejouer à un couple leur histoire et leurs conflits réellement traversés, pour un moment de cinéma-thérapie inoubliable. Une œuvre inhabituelle qui transpire la réalité à chaque instant et redéfinit l’émotion au cinéma.

La folie des grandeurs

The Brutalist / Brady Corbet / Drame

Du haut de ses 3 h 35, c’est le film-monument de l’année : l’histoire, sombre et glorieuse, de la renaissance d’une nation, de l’aventure capitaliste, de l’expérience migratoire, de l’apogée artistique et des profondeurs de l’âme, toutes encapsulées dans le destin du seul László Toth (Adrien Brody, magistral). Cet architecte hongrois et survivant de l’Holocauste est parti tout recommencer aux États-Unis, où un riche mécène lui commande le projet d’une vie. Le véritable architecte derrière cette fresque vertigineuse, entre minimalisme dramatique et maximalisme du procédé, c’est le réalisateur, Brady Corbet, qui conçoit une pierre après l’autre le double portrait d’un artiste idéaliste à la vision limpide et d’un immigré rongé par ses traumatismes.

L’arche sans Noé

Flow / Gints Zilbalodis / Animation

Flow avance dans une discrétion toute féline, comme calé sur les pas de son héros principal, un chat noir aux grands yeux jaune orange qui voit son monde disparaître, englouti par une subite montée des eaux. Pour survivre, il embarque sur un bateau de fortune et, au cœur d’une nature dangereuse et des ruines d’une civilisation disparue, doit apprendre à s’adapter au nouveau monde qui s’offre à lui… L’une des surprises de l’année, signée du Lituanien Gints Zilbalodis, est une expérience sans paroles, hypnotique et époustouflante, rythmée par la musique, le bruit des bêtes et l’agitation de la nature. Le spectateur est invité à plonger dans une douce contemplation avec ce film qui s’impose comme un nouveau modèle dans le cinéma d’animation.

Le roi et l’arène

Tardes de soledad / Albert Serra / Documentaire

On le surnomme le «Lionel Messi de la corrida» : Andrés Roca Rey, numéro 1 mondial de la tauromachie, remplit les arènes grâce à son sens du spectacle, sa prise de risque, sa fluidité et son élégance. La figure glorieuse d’une pratique largement controversée, dans la lignée des personnages flamboyants et vaniteux qu’aime filmer Albert Serra (Pacifiction, La Mort de Louis XIV…). Exception faite que celui-ci est bien réel. Pour son premier documentaire, le Catalan subversif ne cherche ni à glorifier ni à déboulonner le mythe du matador, mais plutôt à percer le mystère de la corrida, montrée selon un concept esthétique inédit, isolant «Roca» dans le cadre, créant une impression de temps réel et compilant les mises à mort sans aucune pudeur.

Amour fusionnel

Together / Michael Shanks / Horreur

Des néo-ruraux, Tim et Millie, quittent la grande ville pour s’installer dans un village de campagne, aux abords d’une forêt qui abrite une étrange grotte : très vite, les deux moitiés de ce couple qui semblait s’étioler sont de nouveau attirés l’un vers l’autre – littéralement. Porté par les performances tant physiques que psychologiquement complexes de Dave Franco et Alison Brie, Together ouvre la voie à une nouvelle possibilité pour le sous-genre très graphique du «body horror», qui vient ici nous parler d’amour. Car si le dispositif horrifique triomphe à tous les niveaux, le premier film de Michael Shanks vise à décortiquer le couple, brosser le portrait d’une génération dysfonctionnelle et prendre à rebrousse-poil les codes de l’horreur.

Pastorale à l’italienne

Vermiglio / Maura Delpero / Drame

Le cinéma italien n’avait plus brossé de portrait de la vie rurale de manière aussi sensible et éclairée depuis Ermanno Olmi (L’albero degli zoccoli, 1978). Jusqu’à cette précieuse chronique familiale signée Maura Delpero, qui se déroule en 1944, quand la guerre, qui sévit non loin de ce petit village du Trentin entouré de montagnes, semble pourtant inexistante dans la vie des Graziadei. Dans ce film choral qui ne se dit pas, la cinéaste se concentre sur les gestes et les mouvements intimes de la vie quotidienne au sein de cette famille nombreuse, organisée autour du patriarche mais où les femmes sont majoritaires. Une œuvre magistrale sur la vie et la mort, l’amour et le désir, la sororité et la maternité, l’émancipation et le déterminisme.

La fin de l’innocence

Manas / Marianna Brennand / Drame

Si Walter Salles a remis cette année le cinéma brésilien sur le devant de la scène, il est loin d’être le seul dans ce cas. C’est pourtant Salles, entre autres (les Dardenne sont aussi de la partie), qui produit Manas, le puissant premier long métrage de fiction de Marianna Brennand. Imaginée à la base comme un documentaire sur les abus sexuels dans des communautés recluses d’Amazonie, cette fiction se place à hauteur d’enfant (dans le rôle de Tielle, la jeune Jamilli Correa livre une performance intense) pour mettre en évidence les mécanismes des prédateurs et le caractère systémique des violences sexuelles, tout en laissant ces dernières hors champ. Un grand film sur le silence et le déni, qui redéfinit la représentation de la violence à l’écran.

La saison du désamour

Volveréis / Jonás Trueba / Comédie dramatique

Le cinéaste espagnol Jonás Trueba réinvente la comédie de remariage avec un «film de crise» enchanteur : soit l’histoire d’Alex et Ale, un couple solide, sinon fusionnel, qui décide d’un commun accord, et sans rancœur mutuelle, de se séparer en organisant au passage une grande fête. De quoi provoquer l’incompréhension de leur entourage. Vito Sanz et Itsaso Arana (à la ville compagne de Jonás Trueba), qui ont souvent joué un couple devant la caméra du réalisateur, coécrivent également ce film que l’on prend comme une grande bouffée d’air frais. La fiction et la vie se mélangent, appuyées par des répétitions, des références en pagaille, des mises en abyme à donner le vertige et un humour absurde et poétique. Comment ne pas en tomber amoureux?

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