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[Cinéma] «Vittoria», pour l’amour d’une fille


(Photo : cinéart)

Brouillant les lignes entre fiction et documentaire, Vittoria raconte le parcours complexe d’une famille napolitaine qui souhaite adopter. Un drame passionnant et sensible signé Alessandro Cassigoli et Casey Kauffman.

Pour Alessandro Cassigoli et Casey Kauffman, tout a commencé en 2016, quand le tandem de réalisateurs est arrivé à Torre Annunziata pour y suivre la boxeuse Irma Testa. Alors âgée de 18 ans, la native de cette station balnéaire et thermale, également l’une des villes les plus pauvres du golfe de Naples, était la première Italienne à concourir dans sa discipline aux Jeux olympiques de Rio. Pendant le tournage de Butterfly (2018), les réalisateurs rencontrent Khadija Jaafari, une immigrée marocaine et aspirante boxeuse à peine âgée de 10 ans : elle deviendra la protagoniste de Californie (2021), qui la suit le long de cinq ans alors que la jeune femme essaie de trouver sa place dans le village. Et, en travaillant sur Californie, ils proposent un rôle secondaire à Marilena Amato, une habitante de Torre Annunziata, aujourd’hui en haut de l’affiche de Vittoria. «C’est comme si la réalisation d’un film nous amenait naturellement vers le suivant», écrivent Cassigoli et Kauffman dans leurs notes de production.

Tandis que Butterfly était un documentaire au sens strict, Vittoria, comme Californie, se présente comme un film de fiction – mais qui brouille les pistes, en faisant rejouer à ses acteurs non professionnels des moments de leur vie réelle. Si, dans Californie, Khadija est renommée Jamila et, dans Vittoria, Marilena devient Jasmine, les auteurs s’attachent à raconter leurs véritables «histoires, très intimes et personnelles, qui nous ont immédiatement frappés».

Ainsi, celle de Jasmine, heureuse au travail (elle a son propre salon de coiffure) et en famille (mariée et mère de trois enfants), hantée par le rêve récurrent d’une petite fille. De peur de tomber enceinte d’un quatrième garçon, et malgré l’incompréhension de ses proches, elle décide d’entamer des démarches d’adoption afin de combler son désir.

Vittoria marie l’œil et la démarche des documentaristes (Cassigoli a longtemps travaillé pour ARTE, Kauffman était reporter au Moyen-Orient pour la chaîne d’information Al Jazeera) avec la veine intimiste et réaliste de la fiction. Les auteurs ont réalisé au préalable «des heures et des heures d’entretiens» avec Marilena et son mari, Rino – lui d’abord largement réticent à l’idée d’adopter –, qui leur ont fait le récit du long et tumultueux chemin «pavé d’obstacles, de tensions, de relations personnelles mises à l’épreuve, de questions complexes et de grandes transformations» entre la décision première et la rencontre avec le bébé. «On avait peur que (Rino) ne veuille pas faire partie de ce projet, ou qu’il ne sache pas jouer», s’étaient inquiétés Cassigoli et Kauffman. Mais la famille, au complet sur grand écran, en plus d’avoir «guidé» les auteurs dans le «monde vaste, complexe et passionnant» de l’adoption, dont ils avouaient «ne rien connaître» auparavant, réalise un numéro de cinéma et de thérapie formidable.

La mise en scène est devenue l’espace dans lequel les acteurs ont amené leurs conflits irrésolus

Car, à fiction inhabituelle, processus inhabituel. Les réalisateurs ont bien travaillé sur un scénario, «avec des dialogues écrits», précisent-ils, mais celui-ci n’a que très peu servi aux acteurs, sinon pour la progression de la trame et certaines séquences à visée purement dramatique (l’introduction chez une tireuse de cartes, des flashes du rêve de Jasmine ou certains échanges faisant avancer l’histoire). En outre, le script était rédigé en italien, quand les personnages parlent naturellement le dialecte napolitain. Dans la même optique de brouiller les lignes entre fiction et documentaire, certains extérieurs sont filmés sur le vif, dont une balade dans Rome et une sortie parmi les supporters du Napoli, au moment des célébrations du troisième titre de champion d’Italie remporté par le club en 2023.

Et quand bien même Vittoria se déroule dans sa grande majorité en immersion dans la cellule familiale, le film transpire la réalité à chaque instant, redéfinissant l’émotion au cinéma, tant dans les moments de conflit que dans les scènes plus douces. Ce qu’Alessandro Cassigoli et Casey Kauffman n’avaient «pas prévu, c’était que la mise en scène deviendrait l’espace dans lequel les protagonistes amèneraient leurs conflits irrésolus».

Vittoria, d’Alessandro Cassigoli et Casey Kauffman.