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[Cinéma] Travestissement et divertissement


Ce vendredi 23 mai à 18 h 30, la Cinémathèque projette Mrs. Doubtfire, la comédie culte dans laquelle Robin Williams se travestit en femme. C’est l’occasion alors de faire un zoom sur ces comédies qui jouent avec le travestissement.

Le cinéma, l’art du travestissement

Au cinéma, il est question de se travestir, puisque jouer un rôle, c’est enfiler un costume; il faut se déguiser histoire de faire illusion, tant en se glissant dans la peau d’un personnage qu’en endossant un masque.

C’est le propre de l’acteur que de changer d’identité, fût-elle sexuelle. Pour citer Louis Skorecki, grand critique du septième art : «Le travestissement, c’est ce qui fonde le cinéma.» Et le travestissement de se mettre au service du divertissement.

Alors que dès le début du XXe siècle, Georges Méliès introduit des travestis dans une partie de l’écran, quoique de façon presque subliminale, Charlie Chaplin utilise le procédé du transformisme pour… se cacher. Mais oui : dans A Woman (1915), où est Charlie?

Eh bien, il est là, sous vos yeux grands ouverts, la moustache en moins et la robe en plus; à «Charlot» pourraient être ajoutés un «t» et un «e», puisqu’il est en femme, et ce, pour approcher celle qu’il aime, incarnée par Edna Purviance, sans que son père ne relève quoi que ce soit. L’idée de départ, cocasse, semble en fait n’être qu’un prétexte pour incorporer du comique de situation à gogo, car, pour le reste, le film est rythmé par beaucoup de coups de pied aux fesses.

Laurel et Hardy aussi changent de sexe, dans Twice Two (James Parrott, 1933) puisqu’ils incarnent chacun leur homologue féminin. Le résultat oscille entre le concours de grimaces maniérées et une certaine gestualité qui, c’est le but, caricature la féminité. Qu’il s’agisse de Charlot ou de Laurel et Hardy, le constat est le même : le travestissement, habillage et maquillage, n’est au cinéma qu’un prolongement de la figure du clown.

Rire sérieusement

S’il faut faire rire, autant le faire sérieusement. Or, au cinéma, le travestissement est souvent traité avec plus de finesse qu’il n’y paraît. Some Like it Hot (Billy Wilder, 1959), où Jack Lemmon et Tony Curtis se travestissent à leur tour, est fait en noir et blanc exprès pour que le maquillage des acteurs ne soit pas trop voyant.

Alors que c’était Frank Sinatra qui devait jouer Daphné dans le film de Billy Wilder (mais le crooner a refusé de se grimer en femme), Chris Columbus, quant à lui, tient à ce que Robin Williams se métamorphose en Mrs. Doubtfire dans le film du même nom sorti en 1993.

Alors, pour bien faire les choses, le réalisateur et son équipe visualisent plus de cinq cents photos de femmes avant de tomber sur une vieille dame anglaise, qui inspirera donc l’acteur aussi exubérant que touchant.

La finesse caractérise aussi Tootsie (1983); Sydney Pollack est clair, dès le départ, dans sa volonté de ne jamais sombrer dans le grotesque et le graveleux. Dustin Hoffman, en jouant non seulement Michael Dorsey, mais également Dorothy Michaels, essaye de ressembler à une femme aussi bien dans l’apparence que dans l’attitude et, pour ce faire, l’acteur américain s’inspire de sa mère.

Mais au fait : il n’y a là qu’un seul cachet, alors qu’interpréter une femme, c’est jouer un second rôle! Ok, oui, mais cette double interprétation, c’est l’assurance d’obtenir une récompense de la profession ? Non : malgré les neuf sélections aux Oscars, Tootsie repart bredouille – seule Jessica Lange remporte la statuette sacrée pour le meilleur second rôle.

Un homme est une femme

À défaut de sujet principal, le transformisme, dans la comédie, peut avoir un rôle second. Parmi la ribambelle de personnages incarnés par Les Inconnus, tous ont joué des femmes, ou plutôt ont joué à être des femmes. Dans le cas de Didier Bourdon, c’est comme s’il avait prédit son propre avenir, puisqu’en 2006, il se retrouve dans la peau de Madame Irma (2006).

Gad Elmaleh, lui, a mis sur scène Chouchou, jusqu’à ce qu’en 2002, Merzak Allouache le mette en scène. Le travestissement peut aussi passer quasi inaperçu ou, du moins, n’être que l’élément d’une séquence, comme dans Les Poupées Russes (Cédric Klapisch, 2004), et là ce sont les amies lesbiennes de Romain Duris qui s’amusent à le maquiller et à lui mettre une robe, comme pour que le trentenaire hétérosexuel se mette, le temps d’une fête, à la place d’une femme.

Pour exprimer l’idée de «se mettre à la place de», il y a cette expression anglaise «walking in my shoes», qui s’avère d’autant plus littérale lorsqu’un homme se retrouve à devoir marcher avec des talons aiguilles. Ainsi, Jean-Marie Poiré, qui ne se limite alors pas aux costumes du moyen âge (la saga Les Visiteurs), en fait porter à Christian Clavier dans Le Père Noël est une ordure (1982), mais aussi à Régis Laspalès et Philippe Chevalier dans Ma Femme s’appelle Maurice (2002), deux pièces de théâtre à l’origine, comme La Cage aux Folles. Les planches sont le lieu de l’exagération, et par rapport au cinéma, il y a moins de poudre aux yeux que sur les pommettes.

Troubles dans le genre

La théâtralité, c’est le qualificatif employé pour Rocky Horror Picture Show (Jim Sharman, 1975), film emblématique du glam, et qui dit glam, dit maquillage, mais aussi excentricité, androgynie et là, extraterrestres extravertis et travestis, mais aussi bisexualité, le tout baignant dans une orgie de couleurs et de mélodies.

Grâce au travestissement s’ouvre un monde parallèle flamboyant. Avec The Adventures of Priscilla (Stephan Elliott, 1994), le travestissement n’est pas un thème ni un sujet de second plan, non, et ce n’est plus un costume, c’est l’équivalent d’un vêtement. Devenu culte, le film ne brille pas uniquement pour cause de paillettes et de mascara, mais pour le regard que la caméra porte sur le travestissement, comme un acte naturel.

Enfin travestissement et transidentité, tout en restant dans la légèreté ? Il y a Glen or Glenda d’Ed Wood (1953), sachant que son film s’inspire de Christine Jorgensen, la première personne connue pour une opération de changement de sexe, par extension, celle qui, selon ses termes, a mis «un coup de pied au derrière de la révolution sexuelle».

Enfin, il y a des films, moins comiques et familiaux, qui ont abordé le sujet, droit dans les yeux, du Lézar Noir (Kinji Fukasakun, 1968) à Cambio de Sexo (Vicente Aranda, 1977) en passant par In einem Jahr mit 13 Monden (Rainer Werner Fassbinder, 1978) ou une bonne partie de la filmographie de Pedro Almodovar. Ces œuvres ont mis un coup de pied au derrière de la question de genre.

Mrs. Doubtfirede Chris Columbus. Vendredi 23 mai à 18 h 30. Cinémathèque – Luxembourg.