Premier film envoyé aux Oscars par le Lesotho, This Is Not a Burial, It’s a Resurrection est un grand voyage spirituel entre ciel et terre, entre la vie et la mort, dans un village menacé par la destruction.
«Le Lesotho est ma mère. (Ce pays) est tout pour moi.» C’est en ces termes que, dans une interview donnée au lendemain de la présentation de This Is Not a Burial, It’s a Resurrection à Sundance, Lemohang Jeremiah Mosese évoquait son pays, morceau de terre de la taille de la Belgique enclavé au sud-est de l’Afrique du Sud. Le royaume du Lesotho, le réalisateur autodidacte l’a quitté il y a neuf ans, après ses études, quand son premier court métrage, Loss of Innocence, a été soutenu puis présenté à la Berlinale; c’est d’ailleurs dans la capitale allemande qu’il vit désormais. Mais s’il est parti du pays qui l’a vu naître et grandir, il ne l’a pas abandonné.
This Is Not a Burial… aurait pu être un documentaire. Mais dans un pays entièrement dépourvu de cinémas, raconter le réel a plus de sens que le filmer. Ainsi, c’est avec un long panoramique que Lemohang Jeremiah Mosese transporte immédiatement le spectateur dans un voyage entre ciel et terre long de deux heures. Du rouge, du bleu, des touches de jaune et de vert : les couleurs vivent à l’intérieur du superbe plan d’ouverture. Quelqu’un danse sous une boule disco : on est dans un bar. Le panoramique se termine dans la pénombre, où est assis un vieil homme tenant un lesiba – un instrument traditionnel du Lesotho joué par les gardiens de troupeaux – et dont les mots finissent de remplir l’espace. «Les morts enterrent leurs propres morts», dit-il. L’homme sera le narrateur : ses paroles, tantôt laconiques, tantôt abondantes, naviguent à travers le long métrage comme un art homélique et spirituel. La voix off est l’ornement des images quand ce qu’il se passe dans le cadre n’a pas besoin de mots.
La trame, pourtant, est on ne peut plus réaliste. Après la mort de son fils dans les mines d’or d’Afrique du Sud, Mantoa (Mary Twala Mhlongo), une vieille femme qui a déjà perdu son mari, sa fille et son petit-fils, prépare son propre départ vers l’au-delà. La guérisseuse de ce village de la «vallée des larmes» est en deuil, mais elle apprend que les autorités prévoient de construire un barrage sur le cimetière sacré et que le village, qui risque bientôt l’inondation, va être évacué vers la ville. Du haut de ses 80 ans, Mantoa va s’élever contre le développement du projet et, par conséquent, contre les deux autres autorités du village : le chef et le prêtre. Un dernier combat pour défendre l’héritage spirituel de sa terre, une dernière raison de vivre.
Les racines du film sont à trouver dans l’histoire récente du pays et de cette zone à risque que la modernité aura détruite avant la catastrophe naturelle. «Ma grand-mère vient de l’un de ces villages qui vont être déplacés», indique le réalisateur. «J’avais ce besoin très immédiat de raconter l’histoire de ces gens, de leur connexion spirituelle à la terre. (…) Leur cordon ombilical est enterré dans la même terre où sont enterrés tous leurs morts. Imaginez toutes ces histoires. Puis on veut les déplacer : l’effet psychologique qui en découle est une horreur.»
Un voyage chimérique spirituel, mais aussi politique, humain et naturaliste
Son titre éminemment poétique («Ceci n’est pas un enterrement, c’est une résurrection», en français) est un écho à l’esthétique exigeante du film, présenté dans un format 4:3 qui, au lieu de confiner les personnages et les paysages dans la limite du cadre, donne l’impression de les voir s’ouvrir et déborder des deux bandes noires latérales. Le voyage chimérique opéré par Mosese n’est pas seulement spirituel, il est aussi politique, humain (sentimental, si l’on préfère) et naturaliste tout à la fois, car ici, comme la voix du narrateur qui n’existe pas dans la même temporalité et le même espace que les images sur lesquelles elle est apposée, tout est un. Le visible et l’invisible aussi, explicité par le plan fixe d’une très belle danse durant laquelle Mantoa entoure le vide de ses bras. Elle est le ciment du film, son lien entre le royaume des vivants et des morts par son statut de guérisseuse faisant d’elle une œuvre d’art à elle seule. Il ne pouvait pas en être de même dans un documentaire, mais la réalité, pernicieuse, rejoint parfois la fiction : après ce dernier combat sur grand écran, l’actrice Mary Twala Mhlongo est décédée en juillet dernier, à 80 ans.
Valentin Maniglia
This Is Not a Burial, It’s a Resurrection, de Lemohang Jeremiah Mosese.