Le nouveau film de Damien Odoul, Théo est les métamorphoses, est à mi-chemin entre le documentaire et le conte fantastique. Un vrai film «libre», à l’image de son réalisateur, qui craint pour l’avenir d’un cinéma «différent».
Les «bons sentiments», le «politiquement correct», très peu pour Damien Odoul. «C’est un conte de la désillusion», juge-t-il en parlant de son dernier film, Théo et les métamorphoses, «une histoire d’anti-apprentissage» à découvrir dès aujourd’hui en salles. Le cinéaste, poète et artiste français a réalisé son neuvième long métrage avant la pandémie, mais le monde qu’il y donne à voir, un monde où l’humanité vit et apprend à se connaître aux côtés de la nature, et non plus à ses dépens, résonne aujourd’hui comme une vision utopique du «monde d’après», avec la nature pour seul décor. C’est dans la forêt que vivent Théo (Théo Kermel), un jeune trisomique de 27 ans, et son père (Pierre Meunier). Un jour, ce dernier s’absente; pour Théo, c’est le début d’une odyssée intérieure, guidée par la quête de liberté. Sans cesse, au gré de ses pensées, le héros va se réinventer; à travers ses métamorphoses, il tente de trouver un sens au monde.
Il y a effectivement du conte dans Théo et les métamorphoses, avec une voix-off qui immerge le spectateur dans la tête du personnage, et des images qui traduisent le flux de pensée en réalité. «Théo, c’est un garçon d’aujourd’hui. Comme tous les gens de son âge, il se pose plein de questions», racontait Damien Odoul, quelques heures avant de faire découvrir le film en avant-première au public luxembourgeois, début février. Théo – que l’on surnomme To – est trisomique et vit en «homme des bois», en harmonie avec la nature et les animaux, mais ses désirs et ses rêves sont les mêmes que pour beaucoup : découvrir l’amour, s’émanciper du père, mais aussi devenir un ninja, ou encore pouvoir voler.
Des genres et des disciplines
En discutant avec Théo Kermel, l’acteur, le cinéaste a «trouvé beaucoup de points communs» avec le personnage de son scénario : «Théo aussi aime les arts martiaux, avait envie de trouver l’amour…» Pourtant, le film était écrit à l’origine avec un autre garçon dans le rôle principal, Kostia Bodkine, artiste et rappeur. «Il reste deux choses de lui dans le film : les dessins dans la chambre de Théo, et la musique, qui est celle du groupe de Kostia, les Choolers Division», dont les deux MCs sont trisomiques, prévient Damien Odoul. Avant d’ajouter : «Il y a une seule chose qui n’est pas de moi et qui ne date pas de l’époque de Kostia, quelque chose qui appartient totalement à Théo : c’est cette séquence dans laquelle il décrit son handicap.» Pour Théo Kermel, la trisomie «se voit d’abord dans les yeux», raconte-t-il dans le film.
À la croisée des genres – documentaire, fantastique, drame – et des disciplines – Damien Odoul convoque le théâtre, le cirque ou encore la performance –, Théo et les métamorphoses est un film où la liberté est à trouver autant dans le fond que dans la forme. Pour preuve, la séquence d’ouverture, filmée avec une caméra GoPro, présente Théo alors qu’il descend en exploration dans une grotte. Plus tard, il s’imagine combattre une belle ninja aux cheveux bleus, comme dans un film d’arts martiaux, montage énergique à l’appui. Le film lui-même se métamorphose en même temps que son protagoniste. «C’est un film qui tourne autour du « jeu » et du « je » : les choses qu’il rêve et fait dans le film, ce sont des choses dont il rêvait et qu’il voulait faire vraiment. C’était aussi un moyen de parler de sa colère, celle qu’il a par rapport à ce monde, au regard qu’on porte encore sur lui, à la difficulté de faire ce qu’il a envie de faire… En même temps, avec lui, il y a véritablement quelque chose qui relève du cinéma. Il a une présence, un corps, une force, il est toujours en action.»
Projet miraculé
Faire un film «libre», «différent» et qui soit véritablement à l’opposé de ce que propose le cinéma actuel (y compris le cinéma d’auteur) amène forcément Damien Odoul à réfléchir sur l’évolution du septième art et à la place de son œuvre à l’intérieur de celle-ci. «Le 9 mars (NDLR : date de sortie française du film), 24 films sortent. Vingt-quatre! Et toujours avec le même schéma : deux vont tirer leur épingle du jeu, quatre vont faire des résultats corrects et les dix-huit autres vont rester sur le tapis. Quel est le sens de tout ça?» Le cinéaste, qui se définit comme faisant «de l’art et essai», a beau avoir présenté ses films à Berlin (c’est le cas de Théo et les métamorphoses), Venise ou Cannes, et malgré de nombreux prix reçus – dont le prestigieux prix Jean-Vigo, en 2015, pour La Peur –, il affirme : «Tous mes films ont été compliqués à monter. Ça fait trente ans que j’en suis conscient, depuis mon premier long à 23 ans. Mais je n’ai jamais prétendu faire du cinéma élitiste ou expérimental, au contraire, j’ai toujours pensé que mes films pouvaient toucher ou interpeller le public. La preuve : l’histoire de Théo et les métamorphoses est toute simple et on est beaucoup plus sensible, depuis quelques années, à la question du handicap mental.»
J’ai toujours pensé que mes films pouvaient toucher ou interpeller le public
Un brin provocateur, il glisse, sourire en coin : «Je ne dis plus « industrie du cinéma » mais « cinéma industriel“», et définit encore son film comme «l’anti-Huitième Jour», en référence au film à succès porté par Daniel Auteuil et l’acteur trisomique Pascal Duquenne, et qui raconte l’amitié entre deux hommes que tout oppose. Théo et les métamorphoses sort dans un contexte radicalement différent, à la fois pour la fabrication des films et pour leur diffusion. Damien Odoul y a beaucoup réfléchi et rumine encore sa pensée, assénant «sans pessimisme» que «la salle va complètement changer» – processus en cours depuis une vingtaine d’années, dit-il, mais que la pandémie a accéléré – et qu’«aujourd’hui, on n’a plus besoin de cinéastes», mais d’exécutants répondant à un cahier des charges. «Se pose alors une question éthique : à quel prix faire des films?» Le réalisateur dit avoir eu la chance de pouvoir monter le projet Théo et les métamorphoses «il y a trois ans, dans un moment de bascule», certain qu’aujourd’hui, le miracle ne pourrait pas se répéter. Et de se demander si, d’ici une poignée d’années, le seul moyen de faire survivre l’art et essai ne serait pas de «monter des collectifs, tourner et faire circuler des films « sous le manteau », dans une forme de clandestinité, avec des festivals alternatifs». «S’il faut aller jusque-là, pourquoi pas?»
Théo et les métamorphoses, de Damien Odoul.
J’ai toujours pensé que mes films pouvaient toucher ou interpeller le public