Accueil | Culture | [Cinéma] « The Square », un film carré !

[Cinéma] « The Square », un film carré !


"The Square", le nouveau film du Suédois Ruben Östlund, plonge le spectateur dans les coulisses d'un musée d'art contemporain avec son conservateur. (photo DR)

Lauréat de la Palme d’or en mai dernier à Cannes, « The Square », de Ruben Östlund est un film passionnant qui interpelle avant tout pour les nombreux questionnements qu’il crée auprès du spectateur.

Tout commence sur de la musique techno. Un choix qu’on peut interpréter comme un avertissement : attention, le film va se dérouler à un rythme ultrarapide, entre l’allegro et le presto, pour reprendre des définitions du champ artistique, pour ne pas dire savantes.

Car The Square, le nouveau film du Suédois Ruben Östlund, plonge le spectateur dans les coulisses d’un musée d’art contemporain avec son conservateur, Christian – un homme riche, mondain, amateur de femmes, concerné par l’écologie et par l’humain –, qui prépare une nouvelle exposition. Une exposition qui lui tient particulièrement à cœur, car elle lui ressemble. Elle se résume, en grande partie, en une double installation – double, car présente aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du musée –, The Square. Autrement dit un carré de 4 m², matérialisé par un trait blanc et qui se veut un «sanctuaire de confiance et de bienveillance» où toute personne présente se doit de venir en aide à toute personne le demandant. «En son sein, nous avons tous les mêmes droits et les mêmes devoirs», précise même la plaque qui accompagne l’œuvre.

Une idée née d’un véritable projet artistique exposé au musée Vandalorum de Värnamo, petite ville du sud de la Suède. Autant dire que le film dépasse son seul intérêt cinématographique. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne se suffit pas à lui-même.

Car oui, The Square est un film passionnant. Un peu long peut-être, non dénué de quelques maladresses – pourquoi donc quand Christian part en voiture avec son assistant, ce dernier s’assoit à l’arrière alors que la place du passager est libre ? – mais passionnant et maîtrisé. Non seulement pour son récit, pour ses personnages, pour ses plans-séquence (une habitude du réalisateur), pour ses images ultraléchées qui ne sont pas sans rappeler Nocturnal Animals de Tom Ford, qui se déroule lui aussi en partie dans l’univers de l’art contemporain, mais aussi et surtout pour les nombreuses interrogations qu’il pose.

Qu’est-ce que l’art ? Jusqu’où peut-on aller en son nom ? Quelle est la valeur d’une œuvre? Et cela sans tomber dans les clichés ni des fanatiques ni des allergiques à l’art contemporain !

Un film salutaire

Oh certes, le réalisateur se permet quelques fantaisies, comme quand un responsable du nettoyage aspire sans faire attention plusieurs composantes d’une œuvre conceptuelle se résumant, pour ainsi dire, à de petits monticules de terre, sable et cailloux disposés dans une grande pièce blanche, au-dessus desquels trône un néon avec écrit «You have nothing» ! Mais il ne faut pas voir là une critique pour autant.

C’est juste que, malgré son sens profond et le sérieux de ses problématiques, le film essaye, sinon de faire rire, du moins de détendre l’atmosphère avec de petites situations satiriques. Car telle est l’idée du réalisateur : proposer une satire ! Non de l’univers de l’art contemporain, mais de notre société, dont l’art contemporain n’est finalement qu’une conséquence.

«Le film aborde plusieurs sujets, explique le réalisateur dans ses notes d’intention, la responsabilité et la confiance, la richesse et la pauvreté, le pouvoir et l’impuissance, l’importance croissante que l’on accorde à l’individu par opposition à la désaffection vis-à-vis de la communauté et la méfiance à l’égard de l’État (…) et des médias.»

Car on a beau se dire, comme Christian, qu’on est quelqu’un de bien, on a beau défendre des années durant les principes d’écologie, d’égalité, de respect, tout cela reste trop souvent de beaux discours rarement suivis d’effets concrets. Et c’est ça que le film critique avant toute chose.

La preuve : bien que riche, Christian n’hésitera pas à aller mettre la pagaille dans tout un immeuble d’un quartier pauvre pour tenter de récupérer le téléphone et le porte-feuille qu’il s’est fait voler. Un vol survenu alors qu’il essayait d’aider une jeune femme en danger. Alors, doit-on faire confiance ? Se méfier ? Donner aux plus pauvres ou continuer à additionner les richesses personnelles, qui peuvent être parfaitement méritées ? Et surtout dans quelle société a-t-on envie de vivre ?

À un moment où les populismes de tout bord reprennent peu à peu de la force en Europe, The Square, avec toutes les interrogations qu’il crée chez le spectateur, est un film salutaire duquel on sort grandi !

Pablo Chimienti