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[Cinéma] Sur l’île de beauté de Kensuke


Avec une animation 2D raffinée et son dessin à la ligne claire foisonnant de détails, Kensuke’s Kingdom émerveille en premier lieu par son esthétique. (Photo : kensuke’s kingdom ltd./mélusine productions/le pacte/bfi/ffilm cymru wales)

En salles demain, Kensuke’s Kingdom, de Neil Boyle et Kirk Hendry, mélange au récit d’aventure spectaculaire un important commentaire écolo et humaniste.

Un film d’animation (co)produit sous la bannière de Mélusine Productions est, on le sait, gage d’excellence artistique : à preuve, les deux Ernest et Célestine (2012 et 2022), The Breadwinner (Nora Twoney, 2017), Les Hirondelles de Kaboul (Zabou Breitman et Éléa Gobbé-Mévélec, 2019), Le Sommet des Dieux (Patrick Imbert, 2021) ou encore le tout frais Slocum et moi, de Jean-François Laguionie, présenté hors compétition au dernier festival de Cannes. Avec Kensuke’s Kingdom, en salles dès demain, le studio basé à Contern poursuit son plaidoyer pour un cinéma d’animation hautement qualitatif et à plusieurs niveaux de lecture, qui parle aux adultes comme au public plus jeune. Coréalisateur du film, c’est «la main sur le cœur» que Neil Boyle affirme que les premières projections publiques restent «la meilleure partie» de son travail : «Pendant la réalisation du film, il faut avoir une confiance extrême en soi, mais on est toujours en proie à de terribles moments de doute. Lors de la première projection publique (NDLR : au dernier festival d’Annecy, où le film était en compétition), quand les lumières se sont rallumées, beaucoup de gens étaient en larmes et j’ai trouvé cela extraordinaire. On se serait cru au théâtre.»

Quelque part entre le récit d’apprentissage, le film d’aventure spectaculaire et la fable écolo et humaniste se trouve Kensuke’s Kingdom, adaptation fidèle d’un roman de l’écrivain jeunesse britannique Michael Morpurgo (dont Steven Spielberg avait porté à l’écran War Horse en 2011). Le long métrage de Neil Boyle et Kirk Hendry narre ainsi l’incroyable histoire d’un enfant de 11 ans : pendant un tour du monde à la voile, qu’il fait avec ses parents, le jeune Michael et sa chienne, Stella, sont propulsés par-dessus bord et échouent sur une île déserte… ou presque. Kensuke, un vieux soldat japonais vivant en harmonie parmi les orangs-outans, recueille le garçon, et les deux, qui ne parlent pas la même langue mais ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre, vont devoir unir leurs forces lorsque des braconniers tentent d’envahir l’île.

Onze ans de travail

«À l’origine, l’une de nos productrices, Sarah Radclyffe, avait posé une option sur les droits du livre, qu’elle adore, mais sa première idée était d’en faire un film en « live action »», déroulait Neil Boyle au Quotidien lorsqu’en mars dernier, il avait accompagné l’avant-première de Kensuke’s Kingdom au LuxFilmFest. Pour des raisons évidentes, l’animation semblait préférable : «On parle d’un garçon qui manque de se noyer dans l’océan puis qui passe tout son temps sur une île déserte», sourit le réalisateur, qui souligne les «difficultés techniques phénoménales» et le «budget faramineux» qu’un film «live» aurait imposés.

On était deux réalisateurs à qui on venait de donner une chance, mais qui n’avaient encore jamais fait leurs preuves

Recrutés par la productrice, Boyle et Hendry n’avaient jamais réalisé un long métrage avant celui-ci : «On était deux réalisateurs à qui on venait de donner une chance, mais qui n’avaient encore jamais fait leurs preuves», résume le premier, qui traîne pourtant une carrière d’animateur phénoménale, y compris à Hollywood, où le Londonien a notamment travaillé sur Who Framed Roger Rabbit? (Robert Zemeckis, 1988) et Space Jam (Joe Pytka, 1996). Son comparse, plutôt actif côté courts et clips musicaux, s’est fait un nom en travaillant avec Sylvain Chomet, le réalisateur des Triplettes de Belleville (2003), pour la vidéo accompagnant le single Carmen, de Stromae, en 2015. À l’époque, les noms de Boyle et d’Hendry étaient déjà attachés au projet Kensuke’s Kingdom : «Huit ans et demi ont été nécessaires pour soulever les financements, auxquels se sont ajoutés deux ans et demi pour réaliser le film», explique Neil Boyle. Productrice ultrarespectée et cofondatrice de Working Title Films, l’un des principaux studios de production au Royaume-Uni, Sarah Radclyffe «nous est restée incroyablement loyale tout ce temps», glisse, «très reconnaissant», le réalisateur.

En mai 2020, alors que les industries cinématographiques autour du globe étaient à l’arrêt complet, Stéphan Roelants, producteur luxembourgeois de ce projet partagé aussi entre le Royaume-Uni et la France, faisait part de son inquiétude quant au bon déroulement de la production. Rétrospectivement, Neil Boyle détaille : «Je déteste dire ça, mais si l’on s’en tient strictement au niveau de la production, le covid a été bénéfique, d’une certaine manière. Même en confinement, on peut faire de l’animation.» Et l’histoire de ce garçon séparé de ceux qu’il aime, devenu ami avec un adulte lui aussi oublié et isolé, «a beaucoup résonné, émotionnellement parlant, avec toute l’équipe». Et Neil Boyle de saluer encore les efforts des Anglais de Lupus Films, qui ont «mis en place un système de travail à distance tellement efficace que, même après la reprise des tournages de cinéma, on a continué de travailler en confinement».

«Faire la différence»

Avec une animation 2D raffinée et son dessin à la ligne claire foisonnant de détails, Kensuke’s Kingdom émerveille en premier lieu par son esthétique. Pour évoquer l’horreur de Nagasaki, les réalisateurs se sont même inspirés des estampes japonaises; à l’inverse, la tempête et le naufrage de Michael sont mis en scène dans une séquence spectaculaire, durant laquelle on retient nerveusement son souffle. Mais le scénario, signé Frank Cottrell-Boyce, est tout aussi merveilleux, mélangeant questionnements philosophiques et un message humaniste et écolo. «Tout cela vient du livre de Michael Morpurgo», explique Neil Boyle. Si celui-ci n’a jamais interféré avec le travail des adaptateurs, «sa seule requête a été que l’on garde toujours en tête les valeurs écologiques et humanistes de son livre, comme l’importance de connaître et croiser différentes cultures», poursuit le réalisateur.

Le message fondamental de l’auteur, Neil Boyle le résume ainsi : «Une personne suffit à faire la différence. Bien sûr, on ne peut pas sauver toute la planète tout seul, mais je crois profondément en cette idée.» Une morale qui était déjà d’actualité quand Morpurgo a écrit le roman, à la fin des années 1990; toujours vraie quand le projet de film a été lancé, il y a plus d’une décennie; et toujours plus actuelle et urgente à la veille de la sortie luxembourgeoise du film. «C’est comme si le film devait sortir au moment parfait», se réjouit le réalisateur, heureux de voir comme il fonctionne «indépendamment des générations». «Et, de manière générale, les chances sont maigres de pouvoir raconter une pure histoire d’aventure qui comporte un message aussi important.» Kensuke’s Kingdom prouve que le défi a été réussi.

Kensuke’s Kingdom,
de Neil Boyle et Kirk Hendry.
Sortie demain.

 

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