Le nouveau film, signé James Gunn, sur le superhéros à la cape rouge, censé relancer DC Comics et la Warner, pose une question d’importance : Superman fait-il encore rêver? Analyse.
On se souvient tous du film sorti en 1978 avec l’acteur Christopher Reeve, mèche au vent, impeccable dans son costume moulant de justicier. Il restera la figure du superhéros (quasi) invincible jusqu’en 1987, à travers quatre épisodes qui auront vu défiler du beau monde : Marlon Brando, Gene Hackman, Terence Stamp, Robert Vaughn et Richard Pryor, inoubliable dans la peau d’un hacker ultrabavard. C’était une autre époque, aux effets spéciaux bricolés et aux cassettes VHS. Superman était alors seul au monde, roi de l’univers et du box-office, sans concurrence à l’horizon. Avant que le garçon de Krypton ne disparaisse, puis réapparaisse en 2006, dans ce qui restera un «retour» loupé.
Car les années 1990 et le début du nouveau siècle étant passés par là, Superman s’est vu dépasser par de nombreux rivaux comme Batman, Spiderman et les X-Men. Toute une galerie de personnages torturés, parfois sombres, qui a redéfini les intentions des films du genre ainsi que les attentes du public. En effet, comme «un grand pouvoir implique de grandes responsabilités», selon la formule de l’oncle Ben, ces figures, bien que toujours puissantes, sont faillibles, hésitent, se trompent, se questionnent sur le sens du bien et du mal… Elles collent mieux à l’image d’une société où tout est plus sinistre, nébuleux et où, parallèlement, la perfection est devenue moins «bankable».
Lex Luthor, président des États-Unis
Avec ses airs de scout, Superman est-il alors un héros sans saveur? Le réalisateur James Gunn, qui reprend en main ses aventures, a promis de porter un regard neuf sur ce personnage, «perçu comme démodé». C’est vrai qu’en dehors de ses origines qui font écho au climatoscepticisme actuel (il est envoyé sur Terre par ses parents, des scientifiques qui ont en vain alerté leurs semblables de l’explosion imminente de leur planète), le reste de son histoire est passé de mode. On l’a vu, à ses débuts, gérer les grèves dans les mines et le problème des chauffards sur les routes, à une époque où les États-Unis se remettent doucement de la Grande Dépression et de son cortège de mouvements sociaux.
Ce film célèbre la gentillesse et l’amour humain
Puis l’entrée en guerre en 1941 change la donne : il devient alors l’instrument de propagande contre le nazisme (ses créateurs, Jerry Siegel et Joe Shuster, sont originaires de familles juives d’Europe de l’Est). Sa cape rouge et son costume bleu sont convoqués pour encourager l’achat de bons du Trésor américains. Ce patriotisme va lui coller à la peau (sa devise, «Truth, Justice and the American Way», en dit long), tout comme le fait d’être un superhéros tellement invulnérable qu’il est compliqué de façonner des adversaires à sa mesure. En comparaison, Batman, lui, devra affronter de nombreux méchants charismatiques (le Joker, Catwoman, Double-Face, le Pingouin…).
Ce sont, en réalité, les évolutions de son ennemi juré, Lex Luthor (incarné cet été par Nicholas Hoult), qui vont donner de l’épaisseur à Superman – du moins dans les comics. Au départ trafiquant d’armes, ce personnage va devenir PDG d’une multinationale dans les années 1980, à l’heure du libéralisme triomphant. Superman, symbole d’un certain capitalisme à l’américaine, se retrouve à lutter contre lui. Un paradoxe qui s’accentue dans les années 2000 lorsque son rival devient… président, vingt ans avant l’accession au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis. Le dilemme est de taille : quand le plus grand représentant de la nation est aussi un ennemi juré, doit-on le respecter ou le combattre?
James Gunn, de Marvel à la Warner
Dans The Dark Knight Returns, pourtant daté de 1986, l’auteur Frank Miller avait déjà fourni une réponse, y dépeignant un Batman dépressif face à un Superman défendant sans états d’âme un pouvoir politique fascisant. Voilà qui interroge : que faire de ce superhéros? Lui retirer son optimisme triomphant et sa nature lumineuse, comme l’ont fait la série Smallville ou Zack Snyder dans Man of Steel (2013), quitte à fâcher les fans? Une idée qui ne plaît guère à la Warner, affaibli par plusieurs revers coûteux comme Joker : Folie à deux, ni à DC Comics, maison d’édition dominée par les héros de l’écurie Marvel (Iron Man, Spiderman…). Histoire de se donner un maximum de chances, le studio hollywoodien a donc débauché James Gunn, réalisateur des Gardiens de la Galaxie, franchise rivale.
Le message derrière le nouveau Superman est clair : repartir sur des bases saines sans trahir l’essence du personnage. Au casting de cette version «reboot», ainsi, les nouvelles têtes que sont David Corenswet et Rachel Brosnahan (Lois Lane), sans oublier un paquet d’autres justiciers (Mister Terrific, Green Lantern, Metamorpho…) et même Krypto, un chien inspiré de celui, mal élevé, du réalisateur. Les images laissent deviner une approche plus légère, humoristique, en opposition aux précédentes adaptations, dont le ton ultrasérieux a suscité de mauvaises critiques et conduit à des recettes décevantes. James Gunn le confirme : «Ce film célèbre la gentillesse et l’amour humain.» Rester bon, honnête et droit dans un monde sans morale : et si c’était ça, finalement, le véritable challenge?
Superman, de James Gunn.