Disponible depuis une semaine au Luxembourg, Sooner.lu propose une offre la plus grande offre de VOD du pays. Son directeur, Maxime Lacour, raconte ce projet majeur et les enjeux futurs d’une plateforme qui veut s’affirmer comme un «acteur culturel» du pays… mais pas que.
VOD.lu, c’est fini : appelez-la Sooner, désormais. Il n’aura pas échappé aux amateurs et cinéphiles que la plateforme luxembourgeoise, après avoir réagi avec force au premier confinement (avec l’expérience «cinema@home», des films mis en ligne gratuitement, une section dédiée au cinéma du Grand-Duché et un partenariat avec le LuxFilmFest, stoppé prématurément cette année), s’est retrouvée depuis l’été dans une sorte de temps suspendu en n’ajoutant que peu – voire pas – de nouveaux films à son catalogue. Et de revenir en cette fin d’année de manière flamboyante : plus de 5 000 films disponibles sur abonnement ou à la location – «le plus vaste catalogue de VOD au Luxembourg», précise-t-on – avec la volonté de devenir un acteur incontournable du secteur audiovisuel du pays. «Nous ne sommes qu’aux prémices de quelque chose», indique Maxime Lacour, fondateur et directeur de la déclinaison luxembourgeoise de la plateforme belge UniversCiné. Sooner débarque en effet au Luxembourg quelques mois à peine après son lancement conjoint, à l’été, en Allemagne, en Belgique, en Autriche et en Suisse, mais avec des projets plein le sac.
«La force qui est la nôtre, c’est de proposer une grande liberté de cinéma, beaucoup plus importante que ce que propose Netflix», affirme Maxime Lacour en soulignant que la plateforme n’a pas vocation à concurrencer les géants américains mais plutôt à leur «être complémentaire». Près de 1 700 films sont ainsi disponibles pour un abonnement mensuel qui démarre à 7,99 euros et l’accent est mis sur la cinéphilie dans un secteur déjà pratiquement saturé, entre «géants mainstream» et «plateformes de niche». Sooner joue donc la carte de l’hybridité, à la fois sur la forme, en mariant la VOD traditionnelle, ou location de films, au streaming type Netflix, à savoir l’accès à un catalogue par abonnement, mais aussi sur le fond. «Notre approche est surtout qualitative», avec des films de toutes les époques, de tous les continents et de tous les genres. En d’autres termes, Céline Sciamma, Guy Ritchie ou Superjhemp y côtoient Tarkovski, Kitano ou Andy Bausch. Malgré les inévitables doublons avec le catalogue des géants, Maxime Lacour souligne que «le cinéma que proposent Netflix, Amazon et consorts n’est pas le même que celui que nous souhaitons mettre en avant».
L’exception culturelle luxembourgeoise
Si les cinéphiles trouveront facilement, dans la foisonnante offre de Sooner, de quoi se rassasier, la plateforme a de quoi attirer tous les publics, notamment avec une offre «premium», Sooner Extended, qui porte aussi bien attention aux dévoreurs de films en proposant «la possibilité de recevoir des places pour assister à des avant-premières, des festivals, des masterclass» qu’au public plus intéressé par le cinéma récent avec «des films en Premium VOD, c’est-à-dire qui sont ou étaient récemment en salles». Maxime Lacour entend créer «une communauté» d’adeptes grâce à une offre riche avec pour objectif de la rendre toujours plus diversifiée et, donc, essentielle.
Sooner prolonge donc les expériences amorcées avec VOD.lu et affiche fièrement sa «spécificité luxembourgeoise» avec plus de 200 films – «bientôt 300», ajoute Maxime Lacour – produits ou coproduits avec le Grand-Duché. Dans un pays dont le cinéma est encore assez jeune et qui n’est encore qu’aux débuts de son rayonnement à l’international, la plateforme veut aussi être «un relais» ou le passeur à la fois de l’histoire du cinéma national et de la diversité des (co)productions actuelles. Sans oublier que l’offre de vidéo à la demande, au Luxembourg, est très pauvre, voire quasi nulle (à l’exception de quelques rares plateformes de niche françaises ou belges et disponibles sur le territoire grand-ducal), une fois passés les omniprésents géants américains qui, eux, ne misent pas un centime sur les productions du pays.
Notre force, c’est de proposer une grande liberté de cinéma
Le projet d’envergure que promet Sooner verra-t-il, à court terme, le premier «original content» luxembourgeois ? La possibilité est envisageable : «Nous sommes à la base une initiative de producteurs et de distributeurs, y compris au Luxembourg, affirme Maxime Lacour, qui avait lancé VOD.lu en 2016 avec les producteurs luxembourgeois Claude Waringo et Guy Daleiden. Notre souhait est donc de travailler en synergie avec eux et, pourquoi pas, devenir un partenaire pour eux aussi, lié à la production ou l’achat de futurs films pour les proposer ensuite sur la plateforme.» L’intention étant de faire comprendre aux producteurs du territoire grand-ducal que, malgré les ravages de la pandémie et du confinement sur le monde du cinéma, la dématérialisation peut – doit ? – devenir une option envisageable pour la distribution d’un film, et qu’une plateforme alternative pourrait bien se sentir d’attaque pour relever le défi.
Le prix du danger
L’ «ambition européenne» au centre du projet Sooner explique pour beaucoup la volonté de travailler avec tous les acteurs du secteur cinématographique. «La VOD est le seul segment de l’industrie audiovisuelle en forte croissance», rappelle Maxime Lacour; autant en faire un moteur. Le côté positif de la pandémie, dirons-nous. Pour Sooner, du moins, qui a su placer ses pions en collaborant, par exemple, «avec 17 festivals», dont le LuxFilmFest, et qui veut enrichir l’expérience cinématographique «avec des rencontres avec des équipes de films, des échanges avec des réalisateurs, des interviews…», bref, des «bonus» qui pointent déjà le bout du nez sur la version belge et qui pourraient arriver de notre côté de la frontière «courant 2021».
Derrière cette création de contenu, importante et qui montre un vrai amour du cinéma, il faut voir aussi les manœuvres mises en place pour contrer l’ombre toujours plus grandissante de Netflix et de ses pairs. «Il y a beaucoup d’enjeux de régulation en cours : au 1er janvier, Netflix et toutes les plateformes, quelles qu’elles soient, devront massivement proposer du contenu européen», indique le directeur de Sooner. Or, «c’est justement ce qui fait notre force et notre particularité». «Il est clair qu’on vivra dans les 24 à 36 prochains mois un véritable challenge, et il y aura des gagnants et des perdants.»
Il est impossible de sortir de l’ombre de ceux qu’il appelle «les services over the top», mais Maxime Lacour soutient qu’il est possible de faire les choses différemment. Le travail a, en réalité, déjà commencé : «On a créé une fédération européenne il y a neuf mois qui va prendre son essor prochainement, avec Netflix, Sky et d’autres plateformes internationales» comme Discovery ou celles du grand groupe ViacomCBS. Son nom : The European VOD Coalition. Son but premier : soutenir le rôle de la création et de la diffusion audiovisuelle en Europe. «En proposant 30% de films européens sur Netflix ou Disney+, ce qui est certain, c’est que les grands gagnants seront les producteurs, affirme Maxime Lacour. Cela dit, on ne pourra proprement évaluer l’impact qu’aura eu cette obligation de coproduction des majors américaines de VOD sur le marché européen que dans deux ou trois ans.» Et de rappeler malgré tout que, alliance ou pas, «nous ne sommes jamais qu’un Petit Poucet dans un univers de Goliaths».
Valentin Maniglia