Avec Slalom, son premier film, Charlène Favier raconte l’histoire d’une adolescente championne de ski tombée sous l’emprise de son entraîneur. Un film courageux, qui trouve aussi sa source dans l’histoire personnelle de la cinéaste.
«Mes héroïnes sont en pleine quête identitaire. Des filles qui tombent sous la coupe d’hommes plus âgés qu’elles, qui se brûlent les ailes mais renaissent. C’est un peu moi», avouait Charlène Favier dans un récent entretien au journal Le Monde. Avec Slalom, la cinéaste française de 35 ans signe un premier film très fort, qui explore les mécanismes insidieux de manipulation qui s’installent entre un entraîneur de ski, Fred (Jérémie Rénier), et sa protégée, Lyz (Noée Abita), âgée de 15 ans et promise à toutes les victoires.
La compétition sportive, Charlène Favier l’a bien connue, qui l’a pratiquée à haut niveau, jusqu’à l’âge de 15 ans, sur les pistes de Val-d’Isère. Les agressions sexuelles aussi, dont elle fut victime à la même époque, toujours dans le milieu sportif.
Son cinéma est «une forme d’autofiction», raconte celle dont l’œuvre encore jeune se fabrique au diapason de son vécu et de ses sentiments. Déjà avec le documentaire Is Everything Possible, Darling? (2010), Charlène Favier filmait la communauté hippie de Byron Bay, en Australie, dans laquelle elle a vécu. Ses courts métrages successifs insufflent aux inspirations autobiographiques la force de la fiction. Charlène Favier affûte sa technique.
Le dernier en date, Odol Gorri (2018), est édifiant en cela qu’il pose déjà toutes les bases esthétiques et narratives de Slalom, de la prédominance des couleurs projetées sur les acteurs (avec une fascination pour le rouge) à l’incursion du thriller dans le drame, en passant par les thèmes de la quête d’identité et de l’emprise psychologique. Un coup de maître exposé en moins de 30 minutes.
Un film très personnel
«J’ai ce film en moi depuis longtemps», assure Charlène Favier. Sous-entendant qu’il y va aussi de ce qu’elle a vécu. En fait, la cinéaste dit en avoir commencé l’écriture en 2014, à une époque pré-#MeToo où l’on considérait simplement Slalom comme «un film de sport» qui ne marcherait pas, ou, pire, «de ne pas être assez à charge».
Avec le témoignage, en janvier 2020, de la patineuse Sarah Abitbol, le film Les Chatouilles (Andréa Bescond, 2018), le livre Service volé, de l’ex-joueuse de tennis Isabelle Demongeot et la découverte d’«un rapport interministériel commandé par Roselyne Bachelot en 2007 – alors ministre des Sports – qui dénonçait de nombreuses pratiques abusives dans le milieu du sport, la plupart classées sans suite», Charlène Favier dit avoir «pris conscience que ce que j’écrivais portait une cause».
Si Slalom est un film très personnel, ce n’est pas uniquement parce qu’il se fait l’écho du vécu de sa réalisatrice et de tant d’autres victimes d’abus dans le milieu du sport. Le long métrage prend le parti de toujours garder sa caméra proche de sa jeune héroïne.
Une bulle d’image et de son
Il s’agit d’ailleurs moins d’un film sur le viol et les attouchements – pourtant explicites – qu’un regard posé sur le quotidien d’une adolescente a priori comme les autres, avec les mêmes questionnements fondamentaux de recherche d’identité et de place dans le monde, et qui connaîtra l’irréversible.
Et Charlène Favier de s’attacher à retranscrire l’état mental de Lyz, enfermée dans une bulle d’image et de son, symbolisée par les grands yeux marron de l’actrice Noée Abita, capables de tout exprimer.
Délaissée par sa mère, étouffée par ses entraînements et son entraîneur, Lyz est seule. Et c’est seule qu’elle trouve ses instants de répit et de liberté : quand elle descend les pistes en slalom, éprouvant dans un souffle la sensation de vivre sa vie à fond.
«Lyz (…) est une gamine qui veut tester ses limites», dit Charlène Favier, tandis que Noée Abita ajoute qu’«elle veut se sentir légitime sur la terre». Elle est la seule maîtresse à bord, à peine tenue à distance par la caméra agile qui suit ses exploits, pour se jeter invariablement dans les bras des mêmes dangers qui l’attendent au bas de la piste, congratulations à l’appui.
La marque du loup
Choisi de façon évidente, l’emblème de l’équipe entraînée par Fred est le loup. Au fur et à mesure que l’emprise s’intensifie, et que Lyz truste le haut des podiums, elle porte sa marque sur son corps. Littéralement : l’animal est brodé sur son manteau, son sac, son pull. Difficile dès lors de s’en détacher. Et Lyz est loin de se douter que l’électrochoc arrivera un jour, sous la forme d’un moment de grâce inattendu qui lui redonnera, pour la première fois, le sourire.
Si certains jugent Slalom comme pas assez à charge, c’est parce que son antagoniste n’est pas le prédateur que tous s’attendent à voir sur grand écran. Fred est «un homme en manque de reconnaissance», explique Charlène Favier. C’est évidemment à Lyz qu’il va raconter son passé d’ancien champion dont l’avenir de sportif à haut niveau a tourné court, et qui projette aujourd’hui la carrière qu’il n’a pas eue sur celle qu’il surprotège.
C’est à ce moment que le film est au sommet de son ambiguïté, avec une émotion toute particulière en préambule à un acte de violence extrême, qui s’installe progressivement et avec un naturel qui dérange.
Le viol est, loin d’être le fait du hasard, filmé comme une scène d’amour, à la différence près que cette séquence-là est envahie par une lumière rouge paralysante, et que la caméra reste pendant plusieurs minutes sur le regard de Lyz, comme un miroir tendu au spectateur et dans lequel il peut lire ses pensées.
Dans chacune de ses scènes, Slalom fait preuve de beaucoup de courage. «Ce n’est pas un film contre les hommes», précise Noée Abita. «On a beaucoup, beaucoup discuté pendant le tournage pour savoir exactement ce qu’on voulait raconter.»
Valentin Maniglia