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[Cinéma] «Sirât», le film qui «rave» de fin du monde


Sergi López est le seul comédien professionnel du casting. «On ne pouvait pas faire un film de punks avec des acteurs», selon Oliver Laxe, le réalisateur. (Photo : cinéart)

«Road trip» halluciné et métaphysique, Sirât, en salles ce mercredi, avait électrisé la Croisette en mai, repartant avec le prix spécial du jury. Expérience sensorielle garantie.

Réalisé par le Franco-Espagnol Oliver Laxe, Sirât, une épopée tournée dans des conditions dantesques, suit Luis (Sergi López), un père de famille parti à la recherche de sa fille dans une «free party» en plein désert marocain. À bord d’un monospace à bout de souffle, avec son fils et leur chien, il va ensuite suivre une poignée de teufeurs, pour certains mutilés, qui sillonnent le désert à bord de camions déglingués à la Mad Max, sur fond de techno. «Pendant le tournage, entre nous, on parlait en rigolant d’un Max Mad 0, situé avant l’apocalypse», rapportait le réalisateur au dernier festival de Cannes.

«Ce que j’aime aussi dans la culture rave, c’est cette attitude : tombe, gémis, pleure, crie, mais ne t’arrête jamais de danser, même si c’est la fin du monde», avait expliqué Oliver Laxe, cinéaste de la marge et lui-même ancien teufeur. Lors de la conférence de presse cannoise, il avait déclaré vouloir déclencher le besoin, avec ce film, de «réenchanter le monde».

Entre rêve mystique et cauchemar éveillé

Débuté comme une quête initiatique, quasiment sans dialogues, le film voyage entre rêve mystique et cauchemar éveillé tandis qu’un péril mondial indéterminé obscurcit l’horizon. «Ce film-là a des gestes très radicaux qui n’invitent pas au consensus», admet le réalisateur de 43 ans. «Il y aura des gens que ça va émerveiller, qui vont apprécier la liberté avec laquelle on a fait ce film. Et il y en aura d’autres que ça n’intéressera pas ou qui ne comprendront pas.»

Sergi López s’est plongé à l’instinct dans cette odyssée en terre ocre. «Le scénario est une bouteille à la mer, il faut y croire», avait expliqué l’acteur à Cannes. «Moi, je ne suis pas très cinéphile, je n’ai pas beaucoup de références cinématographiques (…) et la seule chose à laquelle je peux me raccrocher, c’est mon intuition», expliquait-il. En s’«immergeant» dans cette «expérience unique», l’acteur de 59 ans, connu pour ses rôles dans Harry, un ami qui vous veut du bien (Dominik Moll, 2000) et El laberinto del fauno (Guillermo del Toro, 2006), a traversé une profonde remise en question de son métier d’acteur. En abordant son rôle «une scène après l’autre, comme la vie. C’est pour ça qu’on fait des films : la vie nous prépare des plans qu’on ne prévoit pas, et on va être obligé de jongler avec ça». «Le jeu d’acteur, c’est un mystère : il faut s’oublier (…). On joue, mais nous devons nous obliger à attraper un peu de vérité. Il faut avoir la foi.»

C’est une aventure physique, et en même temps, c’est une aventure métaphysique

Seul acteur professionnel au casting, Sergi López est entouré de véritables teufeurs, recrutés «une personne après l’autre» par Oliver Laxe, qui a fréquenté de près la «scène des « techno travellers »» : «On ne pouvait pas faire un film de punks avec des acteurs», expliquait le cinéaste. «Tous mes films, je les ai faits avec des acteurs sans expérience, c’est ce qui me touche le plus. Là encore, on a essayé de privilégier la vérité.» Pour Richard Bellamy, alias «Bigui», «c’était important de pouvoir montrer qui nous sommes (…), de pouvoir s’exprimer et de montrer aux gens que tout est possible, qu’écouter de la musique, c’est ce qui nous fait vibrer».

Sirât – un mot qui signifie «chemin», et qui, dans l’islam, est le nom du pont qui sépare l’enfer du paradis – est «une aventure physique, et en même temps, c’est une aventure métaphysique», affirmait Oliver Laxe, qui a entamé «un processus créatif très profond» afin de se «reconnecter à (ses) propres blessures». Ainsi, au fil du voyage de Luis, tout se «dématérialise» : le décor, le récit, la musique finissent par «atteindre cet endroit où (ils) se désagrègent» jusqu’à devenir «une pure texture».

À Cannes, certains critiques prédisaient – et espéraient – que Sirât décroche la Palme d’or, décernée finalement à l’Iranien Jafar Panahi pour It Was Just an Accident. Oliver Laxe, qui avait déjà remporté le prix du jury Un certain regard avec son précédent film, O que arde, en 2019 (coproduit par Tarantula Luxembourg), avait lui décroché le prix spécial du jury qu’il était allé chercher, souriant et énigmatique, en rendant hommage «au merveilleux jeu de miroirs qu’est le cinéma».

Sirât, d’Oliver Laxe.

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