Trente ans après sa sortie, David Fincher remasterise Se7en en 4K, confirmant qu’il est bien le chef-d’œuvre qui a érigé son auteur en cinéaste perfectionniste et intouchable.
Film de tueur en série, drame procédural, polar urbain, film d’horreur : Se7en est tout cela à la fois et reste, avec The Silence of the Lambs (Jonathan Demme, 1991), la référence absolue du thriller archipoisseux. Son esthétique sublimant le macabre, comme son scénario radical, gardent intacts leurs effets terrifiants sur le spectateur, trente ans après sa sortie. David Fincher lui-même n’ose le nier – en revanche, celui qui a commencé à se forger avec ce film une réputation de réalisateur perfectionniste (et finalement intouchable) y est récemment revenu en vue d’une ressortie anniversaire. Son chef-d’œuvre originel a demandé plus d’un an de travail sur le négatif d’origine pour prendre la forme de cette nouvelle restauration 4K et projetée en IMAX. Trente ans après sa sortie, plus rien de nouveau ou d’inédit ne peut être dit sur Se7en. Mais qu’en est-il de ce qui peut être vu? David Fincher assure que, si l’on compare le film tel qu’il est sorti en 1995 et le nouveau master attendu aujourd’hui en salles, «le spectateur, s’il n’est pas au courant qu’il y a eu des modifications, n’est pas censé les remarquer».
Pourtant, le processus minutieux qui a mené à cette nouvelle version a été, pour le cinéaste, aussi «révélateur» que «choquant». Transféré numériquement par Warner Bros. – le film a été produit par New Line, à l’époque studio indépendant spécialisé dans le cinéma d’auteur, d’horreur et autres films de niche, avant d’être racheté par la major – et masterisé en 8K (avant d’être réduit en 4K pour sa ressortie) par Fincher et son fidèle directeur de post-production, Peter Mavromates, c’est en découvrant le film dans la plus haute définition possible que le réalisateur s’est rendu compte de l’envergure de la tâche qui l’attendait. Après «deux ou trois mois» passés à nettoyer les marques et imperfections de la pellicule – un travail préliminaire nécessaire à toute restauration –, Fincher expliquait à Entertainment Weekly être «tombé sur des tas de choses qu’on n’avait jamais remarqué auparavant» : des astuces photographiques, comme un petit carton placé dans un plan pour faire la balance des blancs, qui soudain devient visible, ou des ratés, comme cet autre plan qui, en très haute définition, s’est révélé être flou. Toujours dans l’idée de redonner à Se7en sa splendeur d’il y a trente ans, pour d’autres légères modifications – l’épaule d’un acteur déformée par les plis de sa veste, une très fine mèche de cheveux qui gêne le visage –, Fincher a eu recours à l’intelligence artificielle. L’exigence de la précision devient ici une affaire de détails. Mais comme dirait le détective Somerset, interprété dans le film par Morgan Freeman, c’est justement là que le diable se cache.
Après le fiasco d’Alien3 (1992), première réalisation de Fincher pour le cinéma dont il sera finalement dépossédé, Se7en devait être un nouveau pari de taille pour l’Américain qui a débuté dans les effets spéciaux (il a notamment travaillé sur Return of the Jedi en 1983), fait ses armes dans la pub (Nike, Pepsi, Levi’s…) et le clip (pour Madonna, Sting, Michael Jackson, George Michael…). Ayant reçu «par erreur» le scénario d’Andrew Kevin Walker – qui collaborera par la suite à ceux de The Game (1997) et Fight Club (1999) et qui écrira The Killer (2023), le dernier film de Fincher en date –, le cinéaste se souvenait pour le Los Angeles Times l’avoir lu «dans un état très agité». Évidemment, Se7en doit énormément au caractère jusqu’au-boutiste de son scénario sans concession, pour sa façon de réinventer les lieux communs du film d’enquête, avec son duo formé par un policier âgé et érudit (Morgan Freeman) et un jeune flic aux nerfs fragiles (Brad Pitt) qui se retrouvent sur les traces d’un tueur en série qui choisit ses victimes sur le modèle des sept péchés capitaux. Les héros – et le spectateur – ont toujours un temps de retard sur le méchant, jusqu’à cette dernière demi-heure où ce dernier révèle son identité… et une dernière «surprise» traumatisante révélée en plein milieu du désert, quand le reste du film (entièrement tourné dans le centre-ville de Los Angeles pendant le passage du phénomène El Niño) porte la lourdeur d’une pluie incessante.
On n’a pas besoin de savoir ce qu’il y a dans la boîte quand on a Morgan Freeman
La réalisation de Fincher, combinée au travail rigoureux sur la lumière du chef opérateur Darius Khondji, donne toute sa puissance à la dimension visuelle de ce film qui joue autant sur les abjections que le spectateur est forcé de voir que sur ce qu’il croit avoir vu. Dont cette fameuse boîte, dont le véritable contenu reste, trente ans plus tard, sujet à controverse. Fincher, lui, tranche : «On n’a pas besoin de savoir ce qu’il y a dans la boîte quand on a Morgan Freeman.» C’est finalement tout le but de cette restauration : «Notre travail consistait à exhumer (le film) et de le faire ressembler le plus possible à celui projeté à la première, en septembre 1995.» Non content d’y être parvenu, Fincher a enchaîné, en utilisant le même processus, sur deux autres restaurations, celles de Fight Club, sorti il y a 25 ans en 2024, et de Panic Room (2002).
Se7en, de David Fincher.