Un nouveau documentaire explore la fascination exercée par la chasse aux pédophiles menée dans les années 2000 par l’émission de téléréalité «To Catch a Predator».
Le programme américain «To Catch a Predator», l’un des plus suivis au milieu des années 2000 sur la chaîne NBC, attirait des délinquants sexuels dans des maisons équipées de caméras cachées, où ils espéraient avoir des relations avec des mineurs, mais se retrouvaient confrontés à l’animateur, Chris Hansen, puis étaient arrêtés par la police. «C’était ce mélange incroyable de « schadenfreude » (NDLR : sentiment de satisfaction ressenti face au malheur d’autrui) et d’horreur. Personne n’avait jamais vu quelque chose de semblable auparavant», rappelle le réalisateur David Osit. Divertissement sombre et humoristique, présenté comme du journalisme d’investigation, «To Catch a Predator» n’a duré que 20 épisodes. L’émission a été annulée en 2008, après le suicide d’une cible au moment où les caméras et la police ont pénétré dans son domicile.
Les poursuites judiciaires résultant des enquêtes aboutissaient rarement en raison du caractère juridiquement douteux des pièges tendus. Mais la popularité persistante de l’émission sur les forums en ligne et la vague de «chasseurs de prédateurs» qu’elle a engendrée sur YouTube ont poussé David Osit à vouloir comprendre pourquoi la pédophilie est un crime qui se prête si facilement au divertissement.
«Ping-pong émotionnel»
Intitulé Predators, son documentaire vient de sortir dans les cinémas américains. Le film utilise des séquences inédites de «To Catch a Predator», qui montrent les coulisses de l’émission, y compris dans les salles d’interrogatoire de la police. Là où les épisodes diffusés étaient «montés comme une comédie noire», avec les séquences brutes, «vous regardez 70 ou 80 minutes de la vie de quelqu’un s’effondrer au ralenti», explique David Osit. «Je me retrouvais à regarder et à ressentir ce ping-pong émotionnel, à être dévasté pour eux, puis dégoûté par eux et enfin à remettre vraiment en question mes propres sentiments pour savoir si ce que je regardais était juste ou non», détaille le réalisateur.
Tout son documentaire tourne autour de «la façon dont l’émission nous a fait nous sentir». Un thème plus que jamais d’actualité, étant donné les accusations de pédophilie envers les élites au cœur de l’affaire Epstein ou de mouvements complotistes comme QAnon. Lié au monde des affaires et de la politique américaine, Jeffrey Epstein a été condamné en 2008 pour recrutement de mineures à des fins de prostitution et sollicitation de prostitution, avant d’être inculpé en 2019 de trafic sexuel de mineures. Incarcéré en attendant son procès, il a été retrouvé mort pendu dans sa cellule quelques semaines plus tard. Une grande partie de l’enquête fédérale n’a pas été rendue publique, nourrissant les soupçons sur les élites qu’il fréquentait.
Le président américain, Donald Trump, ami du financier, a longtemps alimenté l’idée que les fameux «dossiers Epstein» pourraient être dommageables à certaines figures de la gauche américaine, en promettant de les publier en cas de retour au pouvoir. Mais il n’a pas réussi à apaiser l’obsession nationale et la polémique sur son manque de transparence a suscité des remous au sein de la droite américaine.
«Le mal ultime»
Pour le spectateur, l’examen minutieux des détails criminels d’une affaire depuis son canapé comporte «un élément presque pornographique», estime David Osit. «Si vous voulez vous identifier aux éléments les plus croustillants, vous pouvez le faire dans l’intimité de votre propre maison et personne n’a besoin de savoir que cela vous procure du plaisir», observe le réalisateur. Les fans suivant les «chasseurs de prédateurs» sur les réseaux sociaux sont également animés par un «fantasme de justice», observe-t-il.
Surtout, le caractère tabou des crimes pédophiles permet aussi de tracer une ligne morale absolue et réconfortante. «Pour certaines personnes, il est assez séduisant de se placer du côté du bien sans équivoque contre l’idée de prédation d’enfants», qui représente «le mal ultime», résume-t-il. «C’est un excellent moyen de désigner un « nous » et un « eux », en distinguant les gens qui feraient cela et ceux qui ne le feraient pas.»