Pour la septième fois, sans compter ses affrontements avec Alien, le Predator revient à l’écran. L’occasion de se retourner sur ce chasseur d’hommes, personnage de science-fiction devenu culte malgré des films rarement mémorables.
Un bruissement à peine perceptible dans une forêt moite, suivi d’un étrange cliquetis et du mouvement d’une silhouette dont on devine seulement les contours… Le phénomène est bien connu. Il annonce que la saison de la chasse a repris, avec son plus noble et son plus dangereux représentant : le Predator. Voilà quasi quarante ans que ce «diable qui se fait des trophées avec les hommes» s’est taillé une place de choix dans la culture pop avec son look stylé, sa science du combat et son côté «badass».
Le cinéma l’a placé en haut de l’affiche à neuf reprises, dont deux fois face à une autre star de la science-fiction, Alien. On ne compte plus ses incursions dans les jeux vidéos, ni dans les comics américains. Il en a même un à son nom dans lequel il affronte de puissants adversaires tels que Superman ou Batman. Logique : c’est son sacerdoce, sa bataille. La raison de vivre d’une bête qui cherche à montrer qu’elle est la meilleure dans l’art de la guerre. Ses rivaux en attestent : elle est coriace.
Une légende partie de rien. D’une blague même : après que Rocky a mis au tapis, un après l’autre, Apollo Creed, Clubber Lang et Ivan Drago, Hollywood s’amusait à dire que seul un alien pourrait battre le boxeur. Ni une, ni deux, les scénaristes frères Jim et John Thomas concoctaient une histoire titrée Hunter, oubliant toutefois le ring. On est en 1984 et Predator était né. Restait à lui donner un style qui frappe les esprits. C’est à l’artiste Stan Winston, qui s’est taillé une solide réputation dans les effets spéciaux, que revient la tâche. Il a déjà bossé sur Terminator et travaille sur un autre film : Aliens de James Cameron.
Une mission aux airs de boucherie
C’est d’ailleurs le réalisateur qui lui conseille de rajouter des mandibules sur la gueule du monstre. Le reste vient de lui : les petits yeux enfoncés dans le crâne, les crocs et les dreadlocks. Sans oublier sa vision infrarouge, son armure carénée et tout l’arsenal technologique qui va avec : camouflage optique, épée, canon (qui marque sa cible de trois points rouges), filet, fouet, lance et disque tranchant. Le colosse est sur pied. Reste à lui trouver des ennemis à la hauteur.
Surfant sur le succès de Commando (1985), la Fox en reprend les bases. Un décor : la jungle. Un héros : Arnold Schwarzenegger. Un genre cinématographique : le film d’action militarisé, en vogue dans les années 1980. Aux manettes, John McTiernan, que l’on retrouvera plus tard à la tête du premier et troisième volet de la saga Die Hard. Tout semble en place, en dehors d’un contretemps majeur : qui pour enfiler le costume de la bestiole? C’est Jean-Claude Van Damme qui s’y colle en premier, trop content de pouvoir faire du karaté avec «Schwarzy». Mais l’acteur étouffe sous la combinaison.
Il est alors remplacé par Kevin Peter Hall, habitué à user de sa taille (2,19 m) pour incarner des monstres imposants (notamment le Bigfoot). D’où l’aspect hors norme du Predator, vrai monstre physique capable de prouesses… inhumaines. Du coup, pour le personnage d’Alan «Dutch» Schaefer, officier des forces spéciales américaines, et son groupe de soldats-baroudeurs, la mission au Guatemala va prendre des airs de boucherie. L’ennemi est redoutable, invisible et imprévisible.
T’as pas une gueule de porte-bonheur!
Évidemment, après une déferlante de bombes, de coups de feu, d’effets pyrotechniques et cascades, tout cela s’achève dans un mano a mano épique où l’homme, couvert de boue (pour échapper au capteur thermique) et la bête, sans camouflage (annulé par le contact avec l’eau), se répondent et se mélangent. Le militaire devient alors un animal, et la bête plus humaine. Au bout, une phrase culte («T’as pas une gueule de porte-bonheur!»), et surtout, près de 100 millions de dollars amassés au box-office : une saga était née.
Comme souvent, ce qui va suivre ne va pas être à la hauteur, malgré un casting soigné. Danny Glover, Bill Paxton, Laurence Fishburne, Adrien Brody ou encore Boyd Holbrook vont en effet tous se frotter à d’autres créatures plus ou moins balèzes, en pleine ville comme sur d’autres planètes. Mais Predator 2 (1990), Predators (2010) et The Predator (2018) ne tiennent à aucun moment la comparaison avec l’original. Que dire alors de l’idée, née dans un comics, de réunir au cinéma les deux bêtes reines de la science-fiction : Alien vs. Predator (2004) et sa suite (Requiem, 2007) ne seront que de vulgaires séries B d’une bêtise intersidérale.
Malgré tout, ces réinventions ont le mérite d’en dire un peu plus sur la bête. On connait désormais le nom de son espèce (Yautja) qui côtoie l’humanité depuis des siècles – dans le second volet, il y a un crâne de dinosaure dans une armoire à trophées. Car oui, son objectif est d’en accumuler un maximum pour évoluer au sein d’une caste, et de gagner ainsi en puissance et en respect.
En son sein, il y a les plus jeunes (Un-Blooded) comme les plus aguerris (Warrior) et les plus anciens (qui peuvent vivre jusqu’à 300 ans). Et si l’humain reste sa cible favorite et ses démonstrations de force sanglantes, il respecte tout de même un code d’honneur, comparé à celui qui régit le bushido japonais : ne jamais s’en prendre à plus faible que soi, et préférer la mort à la capitulation, à défaut de finir Badblood, soit l’exclu, le renié, le criminel.
Réprouvée par les fans et moquée par les critiques
C’était d’ailleurs l’état de la franchise à la fin des années 2010, réprouvée par les fans et moquée par les critiques. C’est là qu’est arrivé Disney, avalant d’une traite la Fox et, business oblige, cherchant à réanimer la bête. Le studio aux grandes oreilles va lui trouver un réalisateur fixe, Dan Trachtenberg (complimenté pour 10 Cloverfield Lane en 2016), qui va s’illustrer triplement : d’abord avec Prey (2022), où le Predator file en 1719 pour se bagarrer avec une jeune Comanche, puis avec le film d’animation Killer of Killers, datant de l’été de cette année, où il se coltine une viking, un samouraï et un pilote de l’armée. Et enfin avec Predator : Badlands, sorti cette semaine, dans lequel il s’allie – une première de son espèce – avec une androïde pour s’attaquer à tout un zoo extraterrestre.
Si ces incarnations ont redonné du souffle à la saga, il est vrai plus imaginatives que les précédentes, elles restent toutefois marquées du sceau «Disney» aux ritournelles thématiques sur la résilience, l’entraide, la quête identitaire… Et toujours prompt, au passage, à transformer tout objet en divertissement familial.
Quand on voit la déconfiture connue par la série Alien : Earth, on imagine que le Predator a encore de sales moments à passer. À ce propos, les deux créatures sont amenées prochainement à se retrouver. Le public, lui, a toujours peur, mais plus pour les bonnes raisons.
Predator : Badlands, de Dan Trachtenberg. Actuellement en salles.