Coproduit par Tarantula Belgique, le troisième film d’Olivier Babinet, Poissonsexe, est une curiosité «mélancomique» à mi-chemin entre la comédie romantique et le film d’anticipation écolo, portée par un Gustave Kervern brillant.
Drôle de monde que celui d’Olivier Babinet, loin du nôtre sans jamais vraiment l’être. Dans son nouveau film au titre étrange, Poissonsexe, comme pour les deux précédents, l’objectif de la caméra réussit à capturer simultanément le sujet et le monde qui l’entoure, qui ne présente pas tellement de différence avec celui que l’on connaît. Au premier coup d’œil, cela dit : à y regarder de plus près, c’est un monde qui apparaît vidé des gens qui le peuplent, de la vie qui y coule. Sans compter que, dans cette dystopie pas si surréaliste, les poissons ont tous disparu et la dernière baleine vivante cherche une plage où s’échouer.
C’est dans une partie de ce monde, dans le nord de la France plus exactement, que Daniel (Gustave Kervern), un biologiste, vit et travaille. Son domaine, ce sont les poissons, justement, et la dure tâche de faire se reproduire les deux spécimens de son laboratoire. Célibataire, il est lui aussi confronté au problème de la reproduction, puisqu’il souhaite avoir des enfants et, pour y remédier, vient de s’inscrire sur un site de rencontres. Mais sa rencontre avec Lucie (India Hair) et la découverte d’un étrange poisson pourrait bien apporter l’espoir qui lui manquait.
Avec Swagger (2016), son précédent film, entre documentaire et anticipation, Olivier Babinet filmait des adolescents d’une cité d’Aulnay-sous-Bois, en banlieue parisienne, et les laissait réfléchir, face caméra, à leur avenir et à leurs rêves. Aux idéaux qui se cachaient dans les mots, le réalisateur y opposait ses images des tours de la cité comme on filme habituellement, dans les films de science-fiction, les buildings fastueux des villes du futur, livrant sans le dire un message politique et social fort qui renvoie à la misère des quartiers difficiles. Aujourd’hui, c’est l’écologie, autre thématique dramatique et ultra-réelle, qui l’intéresse. «Les problèmes environnementaux ont franchi un cap, déclarait le réalisateur dans un entretien lors de la sortie française du film, en septembre dernier. On regarde le monde s’écrouler sur internet. C’est de plus en plus préoccupant, mais on continue d’avancer…»
Gustave Kervern, «grand sensible»
Dès le début du film, l’info tourne en boucle sur les chaînes de télé et sur internet : la dernière baleine vivante ne le sera bientôt plus. Inutile de souligner à quel point nous sommes proches de cette réalité-là. Pour autant, Poissonsexe ne force pas sur le discours écologique, mais se place bien en spectateur impuissant d’un monde que le temps ne permet plus de sauver. La disparition des espèces, si elle est l’un des sujets du film, sert surtout de toile de fond à cette comédie romantique portée par un Gustave Kervern qui continue d’amener sur les sentiers les moins empruntés du cinéma français son personnage d’homme usé par la vie. Un personnage calqué ici sur la personnalité du réalisateur, «un grand sensible», «obsessionnel», et qui est né du questionnement d’Olivier Babinet d’avoir un enfant dans un monde où l’urgence écologique – et, désormais, le virus – rend toujours plus incertain l’avenir de la planète.
«J’avais une photo de référence pour le rôle : Peter Jackson sur le tournage du Seigneur des anneaux, perdu dans la pampa, emmitouflé dans sa polaire avec sa barbe hirsute, ses lunettes… Un type au bout du rouleau et obsédé. Gustave tout craché !», s’amuse Olivier Babinet, qui précise qu’«à l’origine, le personnage était américain». «L’Américain», c’est d’ailleurs le surnom qu’on lui donne dans la station-service où il a l’habitude de prendre son café et son donut le matin. «On était en contact avec Brendan Fraser (NDLR : l’acteur de The Mummy et George of the Jungle) pour le rôle. Comme souvent avec les Américains, c’est devenu très vite compliqué», a déclaré le réalisateur.
«L’espoir du côté du vivant»
Au final, Gustave Kervern se trouve comme un poisson dans l’eau dans l’univers étrange d’Olivier Babinet, sublimé par la photographie de Timo Salminen (chef opérateur d’Aki Kaurismäki) et la musique de Jean-Benoît Dunckel, du duo Air, et épaulé par un casting brillant, d’India Hair à Alexis Manenti (le protagoniste des Misérables de Ladj Ly, qui campe ici un patron de station-service un brin jaloux), en passant par la Norvégienne Ellen Dorrit Petersen, qui partage avec Kervern une scène de sexe surréaliste sans jamais être vulgaire.
Parfois inégal, Poissonsexe, coproduit par Tarantula Belgique, n’en reste pas moins une curiosité «mélancomique», comme la définit le réalisateur. «David Lynch disait qu’il devrait y avoir du Tati dans tous les films, et je pense qu’il a raison», ajoute-t-il. Il y a effectivement du Tati dans ce film, celui de Trafic (1971) plutôt que celui des Vacances de Mr Hulot (1953), avec ces questionnements (trop) réels du monde qui remettent en cause l’existence de ses personnages, et où la lueur d’espoir est apportée par un amphibien ironiquement appelé Nietzsche. «Il y aura toujours de l’espoir du côté du vivant, les choses renaîtront, avec ou sans nous», conclut Olivier Babinet.
Valentin Maniglia