Peninsula comptait se poser comme le digne successeur du réputé Dernier Train pour Busan, du même Sang-ho Yeon. Il n’en est qu’un prolongement primitif, noyé sous la testostérone, les pixels et les violons.
Face à des cinémas désespérément vides et des vagues de confinement qui n’arrangent rien à l’affaire, il est nécessaire, vital même, de sortir les arguments forts afin de faire revenir un public masqué et boudeur dans les salles. Pour le coup, Peninsula y va sans retenue : d’abord avec cette prestigieuse estampille «Cannes 2020», le festival l’ayant retenu, avec quelque 55 autres films, au sein de son label exclusif, à défaut de mieux. Ensuite, par cette filiation évidente avec Dernier Train pour Busan (et par ruissellement, avec le préquel d’animation Seoul Station), tous deux sortis en 2016. Derrière ce «triptyque», le même nihiliste Sang-ho Yeon.
Rappelons qu’il y a quatre ans, toujours sur la Croisette, durant une anonyme projection de minuit, le public a découvert ce réalisateur prometteur, qui prend un malin plaisir à raconter sa Corée, déchirée par la guerre entre 1950 et 1953, à travers la métaphore des zombies. Chez lui, près de 10 millions de spectateurs se sont rués sur son film. Dans le reste du monde, ce succès «monstre» ne s’est pas démenti, chacun saluant cette œuvre qui redonna une bouffée d’air à un genre usé jusqu’à la corde depuis la première fantaisie de George Romero (Night of the Living Dead, 1968).
En effet, derrière les classiques courses folles, les morsures sanguinolentes et le chaos urbain, Dernier Train pour Busan jouait habilement avec le huis clos. Au cœur du TGV local (le Korea Train Express) lancé à toute vitesse, il dévoilait de belles trouvailles, notamment esthétiques, et affichait une cruauté inspirée, avec, s’il vous plaît, de vrais acteurs (à la place des habituels alias numériques) pour incarner ces cadavres amateurs de chair fraîche.
Aujourd’hui, Peninsula, plutôt que de porter ce lourd héritage, prend une tout autre orientation. Certes, le film se déroule après le début de l’épidémie – une avancée chronologique à l’instar des projets postapocalyptiques de Danny Boyle – mais se démarque clairement de son prédécesseur : sur la forme, en ne reprenant aucun personnage du «précédent volet» et en évitant toute référence à ces péripéties initiales. Sur le fond, en choisissant la veine du blockbuster horrifique, tout en action et divertissement, quitte à sombrer dans le convenu.
Comment l’Homme peut-il basculer dans la sauvagerie la plus bestiale ?
D’ailleurs, dès les premières images, on change de style. Fini le train, place au bateau ! Un navire «cluster» (ça ne s’invente pas) qui cherche à fuir une Corée du Sud ravagée par l’infection. Quatre ans plus tard, ce sont des rescapés – parias sans papiers installés à Hong-Kong – qui reprennent la mer, envoyés sur place par des truands afin de récupérer un magot abandonné dans un camion… Une mission à haut risque acceptée par le héros (joué par Kang Dong-won), quittant le règne des humains pour celui du chaos. Sur place, avec ses compagnons d’infortune, il tombe toutefois sur quelques habitants «intacts», non infectés, des survivants livrés à eux-mêmes. Certains d’entre eux, des militaires complètement allumés, sont devenus plus barbares que les morts ambulants, pantins désarticulés avides de lumière et de bruit…
Comment l’Homme peut-il basculer dans la sauvagerie la plus bestiale ? Voilà la thématique propre à ce nouveau raz-de-marée cadavérique qui, à défaut d’être original, cherche à en mettre plein la vue, un peu comme dans un jeu vidéo grandeur nature. Ça dégouline de pixels, les effets spéciaux, comme la caméra, ne marquant que rarement une pause. En outre, le film recycle, au passage, quelques œuvres qui ont fait date (28 Jours plus tard, L’ Armée des morts, World War Z, New York 1997, Je suis une légende…), mais se tourne surtout vers le cinéma de George Miller et sa célèbre série Mad Max. Point de Mel Gibson ni de désert à perte de vue, mais une séquence de combats en arène (mais où est donc Tina Turner ?) et d’autres courses poursuites dingues dans des voitures ajustées pour la conduite en ville dévastée.
Avant Bong Joon-ho et la Palme d’or Parasite en 2019, Sang-ho Yeon démontrait que le cinéma coréen pouvait traverser les frontières. Le sien, aujourd’hui, s’embourbe dans la facilité. Avec plus de moyens, certes, mais moins d’idées, son Peninsula accumule en effet les faiblesses, lorgnant parfois la série Z, et cherchant à combler le manque d’inspiration par une avalanche d’effets spéciaux. Une telle méthode n’est jamais payante, surtout quand on ajoute aux pixels une armée de violons dans des scènes mélodramatiques surjouées. Le spectateur, lui, pleure pour de bon, regrettant d’avoir cru la campagne promotionnelle promettant une suite au Dernier Train pour Busan. Il lui reste en bouche, tout au plus, le goût d’une fête d’Halloween gâchée. Celle où on lui avait promis des frayeurs, mais qui se résumera à une vilaine indigestion.
Peninsula, de Sang-ho Yeon.