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[Cinéma] «No Other Land» La vie sous l’occupation


(Photo : l'atelier d'images)

Il a remporté le prix du meilleur documentaire à la Berlinale, puis celui aux Oscars : No Other Land, témoignage sans concession sur le conflit israélo-palestinien, raconte la colonisation en Cisjordanie par ceux qui la subissent. Choc.

Un groupe d’activistes israélo-palestiniens a filmé pendant cinq ans la colonisation à Masafer Yatta, village régulièrement attaqué par des colons, situé dans une zone reculée de Cisjordanie. En résulte un film choc : No Other Land. Après avoir fait beaucoup de bruit au festival de Berlin, d’où il est reparti avec le prix du meilleur documentaire, il a récidivé début mars en remportant un Oscar – un exploit pour une production à petit budget. Pour avoir dénoncé, en recevant leur prix à Berlin, une situation «d’apartheid», ses coréalisateurs ont été taxés d’antisémitisme. L’un, Basel Adra, est un militant palestinien. L’autre, Yuval Abraham, est un Israélien de gauche, ayant consacré sa vie au journalisme.

Ensemble, nos voix sont plus fortes

Malgré tout, ils ont remis ça à Hollywood : «Je souhaite à ma fille de ne jamais avoir à vivre la vie que je vis, avec tant de violence, tant de destructions», a lancé le cinéaste palestinien,  qui a demandé que cesse le «nettoyage ethnique». «Nous avons fait ce film, Palestiniens et Israéliens, parce qu’ensemble, nos voix sont plus fortes», a renchéri son compère israélien. «Quand je regarde Basel, je vois mon frère, mais nous ne sommes pas égaux», a-t-il ajouté, avant de critiquer la diplomatie américaine. Les deux trentenaires, dans une alliance inattendue, reviennent sur les faits, et plaident pour la fin de la colonisation. Entretien.

En recevant votre prix à Berlin, vous avez qualifié « d’apartheid » le fait que vous puissiez vivre « libre » en tant qu’Israélien, tandis qu’à vos côté, Basel n’avait « connu que la loi martiale » toute sa vie en tant que Palestinien…

Yuval Abraham : C’est une injustice! Vous avez deux individus du même âge, vivant sous deux systèmes législatifs différents, imposés par un seul État. Cela devrait n’exister nulle part dans le monde. Les Palestiniens ne devraient pas vivre sous le contrôle d’une armée étrangère. Les deux peuples devraient avoir des droits politiques et individuels, dans le cadre d’un partage du pouvoir. Les solutions existent mais pas la volonté politique. J’espère que nous verrons de notre vivant la fin de cet apartheid. Aujourd’hui, il est toutefois difficile de l’envisager.

Comment avez-vous reçu l’accusation d’antisémitisme à votre encontre?

Y. A. : C’est insensé! Je suis petit-fils de survivants de l’Holocauste, la majorité de ma famille a été assassinée pendant la Shoah. Je prends le mot antisémitisme au sérieux, et je pense que les gens devraient se demander pourquoi on le vide de son sens en l’utilisant pour qualifier ceux qui appellent à un cessez-le-feu ou à l’égalité. C’est une façon de faire taire des critiques légitimes de l’État israélien. L’antisémitisme est réel et en hausse partout dans le monde. Si vous utilisez ce mot comme on change de chaussettes, alors vous faites quelque chose de très dangereux pour les Juifs.

Pourquoi ne montrer qu’un point de vue, celui des Palestiniens chassés de leurs terres? 

Y. A. : Le film doit refléter le déséquilibre de pouvoirs qui existe. Ce qui était important, c’était de montrer l’oppression directe des Palestiniens. Quand on regarde Masafer Yatta, le déséquilibre est incroyable : vous avez des colons qui sont là, manifestement de manière illégale selon le droit international, et qui reçoivent en moyenne 400 litres d’eau, tandis que les Palestiniens, à côté, en ont 20… Ils peuvent vivre sur de vastes terres alors que les Palestiniens n’ont pas cette possibilité. Ils essaient de se connecter à l’électricité et les soldats peuvent leur tirer dessus. Donc, présenter une situation aussi injuste, en la plaçant sous l’angle de deux parties en opposition, ce serait trompeur, et politiquement inacceptable.

Les attaques de colons ont redoublé sur vos terres après le 7 octobre. Comment vont vos proches aujourd’hui?

Basel Adra : La situation est très dure… Et on ne sait toujours pas ce qu’il va se passer (…) Mon cousin a été tué d’une balle dans l’estomac, comme on le voit dans le film. Les colons veulent que les gens aient peur et s’en aillent. Ils sont les gagnants de cette guerre à Gaza : ils sont les plus heureux de ce qu’il se passe et de ce que fait le gouvernement israélien.

No Other Land, de Basel Adra,
Hamdan Ballal & Yval Abraham.

 

Controverse en Israël

Il y a dix jours, l’attribution de l’Oscar du meilleur documentaire pour No Other Land a fait réagir Israël. Le ministre de la Culture, Miki Zohar, a qualifié ce prix de «triste moment pour le monde du cinéma». «Au lieu de présenter la complexité de la réalité israélienne, les réalisateurs ont choisi d’amplifier des récits qui déforment l’image d’Israël vis-à-vis du public international», a-t-il  écrit sur le réseau social X. «La liberté d’expression est une valeur importante, mais faire de la diffamation d’Israël un outil de promotion n’est pas de l’art : c’est du sabotage contre l’État d’Israël», ajoute-t-il.

Toujours selon Miki Zohar, l’attribution de l’Oscar démontre la nécessité de la réforme, en cours, visant à garantir que les ressources publiques soient «affectées à des œuvres qui s’adressent au public israélien, et non à une industrie qui fait carrière en diffamant le pays à l’étranger». Les professionnels du cinéma considèrent cette réforme comme une tentative du gouvernement de faire taire toute voix dissidente en Israël et de museler la liberté d’expression.