À l’affiche de Villa Caprice, Niels Arestrup campe un riche avocat pris dans un jeu de manipulation avec son client, un riche homme d’affaires. Un individu de plus dans la galerie de rôles de crapules politiques dont l’acteur français s’est fait le spécialiste.
Le visage massif et rugueux de Niels Arestrup est sans doute aucun le plus fascinant du cinéma français contemporain. Dégagés sous de longs cheveux blonds – aujourd’hui blancs –, ses traits gravés au couteau tout autour d’une paire d’yeux d’un bleu perçant, qui ont l’air d’en avoir trop vu, ensorcèlent immédiatement quiconque les croise du regard. À 72 ans, l’acteur est à l’affiche du thriller psychologique Villa Caprice, coécrit et réalisé par Bernard Stora, dans lequel il revient aux rôles qui mélangent flegme, mystère et défiance. En parlant de son collègue, l’acteur, chanteur et champion de poker assurait récemment qu’il tenait Niels Arestrup pour «l’un des plus grands acteurs français». «Quand vous l’avez dans vos yeux, vous êtes porté, vous êtes obligé d’élever votre jeu, comme au tennis.»
Si, pour le grand public, sa carrière a explosé avec Un prophète (Jacques Audiard, 2009), dans lequel il met son physique et sa voix rocailleuse au service de son interprétation remarquable du parrain corse César Luciani, Niels Arestrup a déjà vécu une longue vie de cinéma, bien qu’encore secondaire par rapport à son activité de cœur, le théâtre. Alain Resnais, Claude Lelouch, Chantal Akerman, Marco Ferreri… Dans ses plus jeunes années, Arestrup traîne son visage blond tantôt insolent, tantôt perdu, devant les caméras des auteurs français les plus en vue. Et, sur les planches, joue sous la direction de Peter Brook, Roger Planchon, Andreï Kontchalovsky, Jean-Michel Ribes, avant, dans les années 1990, de mettre en scène ses propres créations. Puis, devant la caméra, d’acquérir la prestance et le physique adéquats pour camper des hommes politiques manipulateurs ou des truands sans pitié.
Né en 1949 à Montreuil, d’un père danois, chef d’atelier à l’usine, et d’une mère dactylo, le futur acteur commence à faire l’école buissonnière à l’adolescence, et découvre le cinéma, un art populaire pour un jeune homme issu de la classe populaire. Un art qui le captive immédiatement. Mais viennent très vite les années de la formation au théâtre, les premiers rôles à Paris. D’ailleurs, Niels Arestrup confiait lui-même, il y a quelques années, que devant la caméra, «cet œil qui entre dans le vôtre», il a mis «près de cinquante ans» à se sentir à l’aise. Comprendre qu’aujourd’hui encore, le naturel lui vient plus facilement devant un public que devant une équipe technique. On peut choisir de ne le croire qu’à moitié, au vu de certaines de ses performances monstrueuses, y compris celles qui lui ont valu, à trois reprises, le César du meilleur acteur dans un second rôle, en 2006, 2010 et 2014.
J’aime bien regarder les politiques pour les observer quand ils mentent. Ça se voit, je l’éprouve de manière physique
Naturel ou pas, à l’évidence, Niels Arestrup a développé une affinité toute particulière avec les personnages comme celui de Luc Germon, le riche avocat de Villa Caprice dont il revêt, plutôt que la robe, la chemise blanche ouverte sur la poitrine et le pantalon beige, tenue de circonstance pour la Côte d’Azur. Germon est le dernier – pour l’instant – d’une galerie de personnages «arestrupiens» par excellence. Avant lui, il y a eu, bien sûr, le Luciani du Prophète, mais aussi Claude Maupas, le flegmatique directeur de cabinet du ministre français des Affaires étrangères dans Quai d’Orsay (Bertrand Tavernier, 2013), le général allemand von Choltitz, qui s’apprête à faire sauter Paris dans Diplomatie (Volker Schlöndorff, 2014) et, bien sûr, le président de la République française, François Laugier, dans la première saison de la série Baron noir, sur Canal+, en 2016.
Cette fascination pour les arcanes du pouvoir, les personnages de puissants qui tirent les ficelles, Arestrup la reconnaît. Lui qui admire Marlon Brando – jeune, il a même feint d’être un ami de l’acteur pour le rencontrer alors que l’Américain tournait Le Dernier Tango à Paris (Bernardo Bertolucci, 1972) – estime qu’il a tout autant à apprendre des politiques, véritables professionnels du jeu et du bluff. «J’aime bien regarder les politiques pour les observer quand ils mentent. Ça se voit, je l’éprouve de manière physique. Ils jouent un jeu, mais ce n’est pas le même que le nôtre, à nous les comédiens.»
En 2007 déjà, avant ses rôles emblématiques de crapules en costumes sur mesure, Niels Arestrup a commencé à explorer le monde opaque des hautes sphères politiques. Pas (seulement) comme acteur, surtout en tant que scénariste et réalisateur. Dans Le Candidat, sorti une poignée de jours avant que la France ne se rende aux urnes (pour découvrir qu’elle devra choisir, deux semaines plus tard, entre la peste Royal et le choléra Sarkozy), le réalisateur-scénariste-acteur campe le mystérieux Georges. Un homme taiseux, manifestement puissant, qui se trouve comme un poisson dans l’eau à l’intérieur de l’esthétique classieuse et des clairs-obscurs par lui créés, et qui fait la pluie et le beau temps dans le monde politique, embarquant dans son jeu de manipulation le protagoniste, joué par Yvan Attal. Et quinze ans plus tard, les personnages d’ombre du truand Arestrup sont entrés dans la lumière, sans que cela n’affecte son règne…
Valentin Maniglia
Dans le piège de la puissance
Deux hommes puissants et imbus d’eux-mêmes : Villa Caprice plonge dans la relation toxique entre un richissime homme d’affaires et son avocat, ténor des barreaux. Niels Arestrup est Luc Germon, star des prétoires, spécialiste des plus grandes affaires politico-financières, et retrouve un nouveau rôle d’homme ombrageux et complexe. Patrick Bruel, lui, incarne Gilles Fontaine, puissant patron inquiété par la justice pour l’acquisition d’une splendide demeure sur la Côte d’Azur, la Villa Caprice.
Ce n’est pas un procès, la garde à vue ou le combat pour la vérité d’un juge d’instruction que le réalisateur Bernard Stora, auteur de cinq films en une quarantaine d’années, a choisi de filmer, mais la très secrète relation qui se noue entre l’avocat et son client. Qui dépend de l’autre : l’homme d’affaires volubile, qui risque la prison et remet son destin à son conseil, ou bien l’avocat, qui vit des honoraires qu’on lui verse ?
Entre l’ours mal léché et le play-boy habitué à ce que rien ni personne ne résiste à son carnet de chèques, la rencontre sera rugueuse. Et toute occasion est bonne pour marquer son territoire, de la cuisson d’un rôti à la façon de répondre au juge. «On ne vous paie pas, on vous achète», lâchera cruellement Gilles Fontaine à Germont…
Chaque protagoniste de ce thriller psychologique porte aussi une faille : pour l’avocat, c’est la démence de son père, pour le patron la crise avec sa femme. Il faudra attendre le dénouement pour savoir qui manipule qui, et qui aura, in fine, le dessus.
Le projet est né après le suicide en 2013 de l’un des plus puissants avocats de France, Olivier Metzner, qui a défendu le trader Jérôme Kerviel, le chanteur Bertrand Cantat ou encore l’ex-dictateur panaméen Manuel Noriega. La journaliste du Monde Pascale Robert-Diard, qui a rédigé sa nécrologie, a participé à l’écriture du scénario, avec l’idée de décrypter la «puissance» de certains avocats, qui n’est «en partie qu’une illusion».
Participer à l’écriture du film «permettait de pousser la porte» du cabinet, montrer «comment un avocat installe son pouvoir, conduit la stratégie face à quelqu’un qui a l’habitude de tout décider», raconte-t-elle. «La puissance des clients, eux-mêmes dans des moments très vulnérables, rejaillit sur les avocats, mais on ne connaît rien de la vulnérabilité» de ces derniers.
V.M