Pour son premier film à la réalisation, Nicolas Maury se donne le premier rôle, prenant toute la place et toute la lumière à travers une fantaisie cotonneuse proche de l’autofiction.
Avec Nicolas Maury, tout est une question d’affirmation de soi. Celle qui l’amène, après plus d’une vingtaine de films devant la caméra (son premier, Ceux qui m’aiment prendront le train, de Patrice Chéreau, remonte déjà à 1998), à passer à la réalisation. Celle aussi qui le conduit à changer d’image, enfermé qu’il est depuis 2015 dans son rôle d’Hervé, personnage star, et attachant, de Dix pour cent. Comme dans un sursis, alors que la série à succès s’est achevée il y a à peine quelques semaines, il se réincarne sous les traits d’un acteur qui se cherche. Car son personnage, Jérémie, la trentaine, peine à faire décoller sa carrière.
Pire, sa vie tout entière semble lui échapper et les repères pour s’y agripper sont minces, comme le suggère cette première scène où on le voit chercher son chemin, moqué par son téléphone portable qui le fait tourner en bourrique. Un coup à gauche, un autre à droite… Ce déséquilibre le poursuit jusqu’au cœur de son couple, mis à mal par ses crises de jalousie à répétition. Comme trop à l’étroit dans ses sentiments, lui qui est animé d’une soif d’amour et de liberté trop grande, il décide alors de quitter Paris et de se rendre dans sa terre d’origine, le Limousin, où il va tenter de se réparer auprès de sa mère…
Une œuvre-miroir pour une renaissance attendue
Garçon chiffon se résume assez facilement, car il porte en lui tous les ingrédients qui font un premier film, à savoir une œuvre-miroir dans laquelle l’auteur se livre, s’affirme, se lâche, bravant toute impudeur pour montrer qui il est vraiment. On le suit donc à travers ses amours, ses galères, ses coups du sort, ses réussites, ses échecs… Une avancée existentielle sur des montagnes russes qui, en fin de course, aboutit généralement à une renaissance tant attendue.
C’est ce que fait Nicolas Maury qui, la larme à l’œil, toujours prête à rouler sur la joue, se questionne sur une existence qui peine à lui donner des réponses : «Mais qu’est-ce qui ne va pas avec moi?», lâche-t-il, tout chiffonné. Des doutes qui le nouent, au point qu’il se compare à la figure fragile de la pièce L’Éveil du printemps, dont Jérémie répète le texte, à savoir «l’histoire d’un jeune homme mélancolique dans un monde hostile…».
N’hésitant pas sur les gros plans, quitte à s’enlaidir, le comédien-réalisateur, dans ses habits de garçon capricieux, prend toute la place, toute la lumière. Certains y verront un ego trip mal placé, d’autres une volonté d’exister aux yeux des autres, sans tutelle ni travestissement. En ce sens, son premier long métrage est une surprise.
Nathalie Baye en mère courage
Il y a d’abord ce vague à l’âme permanent, cette atmosphère cotonneuse, donnant à cette comédie une étrange saveur, un peu burlesque, un peu surréaliste. Quand on rit, c’est le cœur serré, comme durant cette réunion de l’AJA (l’Association des jaloux anonymes) ou quand des bonnes sœurs le tirent du naufrage et lui assènent, sans sourciller, ses quatre vérités.
Dans ce film à sa mesure, taillé pour lui, Nicolas Maury n’oublie toutefois pas de célébrer les seconds rôles (Arnaud Valois, Théo Christine), tout en égratignant ce monde impitoyable et cruel qu’est le cinéma, dans lequel «les coups de couteau prétendent être des caresses», confie-t-il dans le dossier de presse. Incarnation de cette hypocrisie, Jean-Marc Barr joue au cinéaste gentil et cruel.
Que dire, aussi, de la courte (mais puissante) apparition de Laure Calamy, sa copine de Dix pour cent, incarnant ici une réalisatrice à bout de nerfs. Heureusement, pour contrebalancer, outre la figure fugace d’Isabelle Huppert, on trouve celle, réconfortante, de Nathalie Baye, mère courage qui cherche, aimante, à mettre son «chiffon» sur les rails. Au bout du tunnel, sur une musique très présente dans le film, une voix se remet à chanter. Un signe que cela va déjà beaucoup mieux.
Grégory Cimatti
«Je voulais être regardé là où je ne suis pas regardable»
Nicolas Maury, 40 ans, raconte son premier film et ses thématiques fortes.
JALOUSIE
«Je crois que la jalousie est un puissant déchiffreur du monde, au sens où elle incite à vouloir avoir raison de ce qu’on imagine. Et le drame, si j’ose dire, c’est que le jaloux n’a pas forcement tort. Il se fait un film dans la tête et le truc de dingue, c’est que très souvent le film a raison.»
AUTOBIOGRAPHIE
«J’ai envisagé beaucoup d’acteurs de ma génération pour jouer Jérémie, mais aucun ne convenait. En fait, mes hésitations masquaient un désir un peu honteux et prétentieux. Il fallait que je me voie. Je voulais être regardé là où je ne suis pas regardable.»
MUSIQUE
« La plupart du temps quand je marche dans la rue, une musique m’accompagne, c’est ma manière de jouer ma vie et de l’interpréter. Autrement dit, la musique, dans la vie comme au cinéma, n’est pas là pour illustrer, mais pour accompagner (…). Une musique de film ne doit pas être une virgule, une pause, une récupération, mais une intensité en osmose.»
FILM DE GENRE
«La case « homosexuel » ne me satisfait pas du tout et me donne même envie de fuir. C’est une réduction étouffante et liberticide. Film de femmes, film de pédés : quelle mauvaise compréhension de la singularité et de la complexité! Et quelle tristesse ce serait d’être une seule chose à la fois.»
MÉLANCOLIE
«L’origine antique du mot l’assimile à une bile noire qui compose avec la nostalgie de paysages et de terres perdus. C’est le fond de l’air dans Garçon chiffon. Un sentiment ancestral d’abandon, un chagrin fondamental. Si mon garçon est chiffonné, c’est qu’il se débat sans cesse avec cette bile noire, parfois pour la contrarier, parfois pour la partager et même l’épouser. Des noces noires, j’en conviens, mais des noces quand même!»
G. C.