Après le rachat de MGM par Amazon et celui de Paramount par Skydance, c’est au tour de Netflix d’absorber un autre géant groupe du cinéma et de la télévision, Warner Bros. Discovery. Certains exploitants, élus et personnalités d’Hollywood dénoncent un accord «alarmant».
Le champion du streaming vidéo Netflix s’est entendu avec Warner Bros. Discovery (WBD) pour racheter l’essentiel du groupe de médias, valorisé 83 milliards de dollars, mais des doutes planent sur l’avis des régulateurs.
Sous réserve de leur feu vert, la plateforme au N rouge va mettre ainsi la main sur la plateforme concurrente HBO Max, mais aussi sur les studios Warner Bros., selon un communiqué conjoint publié vendredi.
Elle se retrouverait d’un coup à la tête d’un catalogue volumineux, qui comprend les sagas Harry Potter et Lord of the Rings, les super-héros de DC Studios (Batman, Superman ou encore Wonder Woman) ou encore la série Game of Thrones.
Netflix n’héritera pas, en revanche, des chaînes de télévision de Warner Bros. Discovery (dont CNN), qui vont être logées, avant le rachat, dans une entité distincte de Warner Bros. et qui sera cotée en Bourse.
En proposant 27,75 dollars par action, soit 72 milliards hors dette, Netflix a coiffé au poteau le câblo-opérateur Comcast et le groupe de médias Paramount Skydance, également sur les rangs pour ce rachat. Selon des médias américains, le conseil d’administration de Warner Bros. Discovery souhaitait autour de 75 milliards de dollars, hors dette.
Le projet fera probablement «l’objet d’un examen approfondi de la part des régulateurs américains et européens, car il soulève des craintes légitimes de monopole», a commenté dans une note l’analyste Kathleen Brooks, de XTB.
Hors Amazon Prime Video et son modèle hybride, Netflix est en effet la première plateforme mondiale de vidéo à la demande (avec plus de 300 millions d’abonnés) et HBO Max la troisième (128 millions d’abonnés), Disney+ complétant le podium.
Un responsable du gouvernement a indiqué vendredi à la chaîne CNBC, sous couvert d’anonymat, que l’administration Trump manifestait un «fort scepticisme» vis-à-vis de cette union.
Toujours selon CNBC, Paramount Skydance envisagerait d’en appeler directement aux actionnaires de WBD en faisant valoir qu’une reprise par Netflix serait vouée au rejet des régulateurs. CNBC rapporte par ailleurs que Paramount Skydance avait proposé un prix supérieur à Netflix, à 30 dollars par action.
Finalisation de l’accord dans 12 à 18 mois
Selon plusieurs médias, les avocats du groupe ont envoyé jeudi une lettre à WBD pour dénoncer un mécanisme tronqué, l’accusant d’avoir toujours eu l’intention d’accorder sa préférence à Netflix.
Le patron de Paramount Skydance, David Ellison, a aussi pour lui sa proximité avec Donald Trump, qui a notamment joué dans l’autorisation délivrée en juillet par le régulateur américain de l’audiovisuel, la FCC, pour la prise de contrôle de Paramount par Skydance. Ellison a exposé au président américain ses réticences face à la solution Netflix, susceptible selon lui de fausser la concurrence.
Pour Kathleen Brooks, le net repli de l’action Netflix vendredi (-2,89%) est, pour partie, dû à l’incertitude entourant la transaction, l’accord prévoyant que le groupe de Los Gatos (Californie) verse à WBD une indemnité de 5,8 milliards de dollars en cas d’échec.
Lors d’une conférence téléphonique avec les analystes, le codirecteur général de Netflix, Ted Sarandos, s’est dit «hautement confiant» dans la validation par les autorités de la concurrence. Netflix table sur une finalisation dans les 12 à 18 mois, signe qu’il anticipe un examen approfondi des régulateurs.
Lors de la conférence téléphonique, le directeur financier de Netflix, Spencer Neumann, a fait valoir plusieurs bénéfices espérés, dont la capacité d’attirer davantage d’abonnés, mais aussi des économies de l’ordre de 2 à 3 milliards de dollars par an, à terme. Netflix indique qu’il entend préserver, pour l’instant, le modèle économique de Warner Bros., notamment les sorties de films en salles. La plateforme affirme aussi que cette méga-acquisition va lui permettre d’étendre sa capacité de production studio aux États-Unis et de continuer à accroître ses investissements dans les contenus originaux.
La bataille du streaming et la décroissance de la télévision traditionnelle entraînent des réorganisations stratégiques majeures parmi les grands acteurs américains de l’audiovisuel. Skydance Media a absorbé en août Paramount Global, dont le service de streaming, Paramount+, était jugé trop petit pour s’en sortir seul.
Au passage, cet acteur émergent du cinéma et de la télévision a pris les commandes du studio Paramount Pictures. En 2021, le géant Amazon avait lui racheté le mythique studio MGM pour 8,45 milliards de dollars, et Comcast un autre grand nom d’Hollywood, Universal, en 2009.
«Emploi menacé»
Le rachat de WBD par Netflix suscite l’inquiétude d’une partie d’Hollywood, des exploitants de cinémas et d’élus quant à l’avenir de la diffusion en salles et à une concentration excessive du secteur.
Dès mercredi, le sénateur républicain Mike Lee avait prévenu, sur X, que ce projet «devrait alarmer les autorités de la concurrence partout dans le monde». Pour sa collègue démocrate Elizabeth Warren, il «menace d’augmenter le prix des abonnements, d’entraîner un choix plus réduit, (…) tout en menaçant l’emploi aux États-Unis».
Par extension, plusieurs acteurs d’Hollywood, au diapason d’Elizabeth Warren, redoutent que Donald Trump n’utilise le pouvoir du régulateur comme levier pour dicter ses conditions ou privilégier un fidèle.
«Ce qui me terrifie (…), c’est la façon dont ce gouvernement s’est servi de projets de fusions comme instruments de pression politique et de censure», a écrit la comédienne Jane Fonda dans une tribune publiée par le site spécialisé The Ankler.
Pour obtenir le feu vert de la Commission fédérale du commerce (FTC), Skydance avait ainsi promis à la FCC des changements de ligne éditoriale au sein de la chaîne CBS, accusée par Donald Trump d’être «hors de contrôle».
Fin 2024, Trump avait attaqué CBS en justice lui reprochant d’avoir modifié de façon trompeuse une interview de sa rivale démocrate Kamala Harris. Quelques jours seulement avant que la FCC ne donne quitus à Skydance, CBS avait annoncé la fin de l’émission The Late Show with Stephen Colbert, dont l’animateur est très critique du président américain.
Outre la concurrence dans le streaming, de possibles conflits d’intérêts et une atteinte à la liberté d’expression, la fédération d’exploitants Cinema United voit dans l’absorption de Warner Bros. par Netflix «une menace sans précédent» pour les salles obscures.
Interrogé vendredi lors d’une conférence téléphonique avec des analystes, le codirecteur général Ted Sarandos a assuré que Netflix ne remettrait pas en cause la sortie en salle des films produits par Warner Bros., mais entendait réduire la période d’exclusivité avant la diffusion en vidéo. Souvent fixé à 45 jours, ce délai a été ramené, après la pandémie de Covid-19, à un mois, voire 17 jours dans certains cas.
Dans une lettre adressée à des membres du Congrès, un collectif de producteurs a averti que le passage de Warner Bros. sous le giron de Netflix reviendrait à mettre «la corde au cou du secteur» des salles de cinéma.