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[Cinéma] Monsieur Aznavour : la douloureuse quête de gloire d’une légende


Tahar Rahim incarne de manière fascinante le chanteur dans le biopic de Mehdi Idir et Grand Corps Malade. (Photo : antoine agoudjian)

Mehdi Idir et Grand Corps Malade retracent la vie et la carrière de Charles Aznavour, monument de la chanson française. Avec un maximum de respect pour le mythe.

Les salles clairsemées, les doutes et soudain, le succès qui emporte tout… Monsieur Aznavour raconte l’éreintante quête de gloire du chanteur de La Bohème, devenu star mondiale sur le tard, campé par un Tahar Rahim transfiguré. Mort en 2018 à 94 ans, Charles Aznavour n’a jamais caché combien la route fut longue avant les concerts à guichets fermés, les duos avec Sinatra et les voitures de luxe. «Quels sont mes handicaps? Ma voix, ma taille, mes gestes, mon manque de culture et d’instruction», listait-il dans son autobiographie.

Cette ascension par vents contraires irrigue le copieux et très classique biopic que le chanteur Grand Corps Malade et son coréalisateur Mehdi Idir consacrent, pour leur troisième réalisation en tandem (après Patients et La Vie scolaire), à ce fils d’Arméniens né à Paris qui écoula 100 millions d’albums et signa quelques monuments de la chanson française (Emmène-moi, Je m’voyais déjà…). «Il est peut-être le plus grand monstre sacré de la chanson française», soutient le premier qui, pour construire le film, s’est appuyé sur Charles Aznavour «himself».

La transformation de Tahar Rahim

«Il l’avait adoubé et fut notre consultant de luxe!», poursuit-il. Du moins avant son décès, arrivé juste avant le lancement de la production. «Nous avons alors mis le projet entre parenthèses avant d’y revenir», précise Mehdi Idir. Des premiers pas hésitants dans le music-hall jusqu’à la gloire planétaire, Tahar Rahim compose un Aznavour bourreau de travail, consumé par un désir de revanche sur tous ceux qui ne croyaient pas en lui. «Il a dû se construire contre vents et marées et surmonter tous les obstacles que la société française de l’époque pouvait imposer à un fils d’immigrés. Ça l’a rendu combatif et l’a tiré vers le haut, au plus près du sommet», explique l’acteur.

Il le dit d’ailleurs dans le film : «On ne peut pas vaincre dix-sept heures de travail par jour». L’acteur – qui a reçu un César pour Un Prophète en 2010 – a lui-même donné de sa personne, transformant sa gestuelle pour faire revivre Aznavour, avec qui la ressemblance physique est pourtant lointaine. L’acteur a également dû se soumettre à six mois de préparation intensive, apprenant le piano et chantant six à huit heures par semaine afin d’interpréter lui-même les tubes d’Aznavour. «C’est le rôle de composition le plus complexe que j’aie eu à jouer», reconnaît-il.

On ne peut pas vaincre dix-sept heures de travail par jour

La première partie du film montre comment Édith Piaf le prend sous son aile alors qu’il peine à joindre les deux bouts avec son complice pianiste Pierre Roche (Bastien Bouillon). Incarnée avec panache par Marie-Julie Baup, la «Môme» va faire grandir Aznavour sans l’épargner, lui conseillant ainsi de refaire un nez qu’elle juge disgracieux. Plutôt qu’un biopic balayant (au risque de survoler) 90 années d’une très riche existence, les deux réalisateurs ont un temps envisagé le choix, plus radical, de centrer leur film sur les seules années de galère, avant de renoncer pour montrer, de manière plus scolaire, sa bascule vers le succès.

À l’étroit dans sa vie de famille

Avec Charles Aznavour, «nous étions intéressés par la même approche : traiter principalement de son avant-succès, de ses années de galère (…). Il aurait même souhaité que le récit s’achève là», confirme Grand Corps Malade. Et de poursuivre : «Mais nous tenions à raconter aussi sa bascule vers le succès, sa décennie magique que furent les années 1960 où il écrivit ses grands tubes, afin que les spectateurs aient aussi le plaisir de les entendre». Pour ce faire, le tandem a tout lu, tout vu et écouté les quelque 1 200 chansons de l’artiste. Mieux, ils ont eu accès «à ses archives personnelles» et pu discuter «avec ses proches et ses collaborateurs». «La première version du scénario faisait plus de deux cents pages, soit un film de quatre heures!», se marre Mehdi Idir.

Le film, coproduit par un gendre d’Aznavour, brosse par ailleurs le portrait d’un chanteur à l’étroit dans sa vie de famille. «Si je dois tout négliger autour de moi, alors je le ferai», dit son personnage. «À partir du moment où il découvre l’écriture, une bascule opère (…). Dès lors, il est tellement immergé dans son monde qu’il en oublie son entourage», dit Grand Corps Malade. Excepté sa sœur. «Enfants, on les prenait pour des jumeaux. Sa relation avec elle est le fil rouge du film, qui l’ouvre et le clôt», enchaîne Mehdi Idir. De même que ces images d’archives sur le génocide arménien en ouverture et cette conclusion qui évoque ce «fils d’immigrés et d’apatrides, devenu l’un des symboles de la culture française». Un geste politique? «Forcément», conclut Grand Corps Malade.

Monsieur Aznavour, de Mehdi Idir & Grand Corps Malade.