Le tueur sanguinaire Ghostface revient terroriser la tristement célèbre bourgade californienne de Woodsboro dans le cinquième volet de Scream, en salles ce mercredi. Analyse de la saga définitive du cinéma d’horreur.
Au milieu des années 1990, Kevin Williamson, jeune scénariste inconnu, écrit Scream, «slasher» dans la plus pure tradition, inspiré par de sordides faits divers et une poignée de films cultes. Au même moment, Wes Craven, l’un des modèles de Williamson, se sent lassé du cinéma d’horreur, genre auquel il a voué toute sa carrière et dont il s’est imposé comme l’un des maîtres, notamment avec trois films : The Last House on the Left (1972), The Hills Have Eyes (1977) et A Nightmare on Elm Street (1984). Naturellement, c’est le nom de Craven qui s’impose dans la tête des frères Weinstein quand ceux-ci achètent le script de Kevin Williamson; pour sa part, le cinéaste, qui a toujours mis un point d’honneur à expérimenter de nouvelles formes à l’intérieur du même genre, voit dans le projet la possibilité de reprendre à son compte les conventions du «slasher» – qu’il avait déjà détournées au profit du conte fantastique avec A Nightmare on Elm Street – et de les réinventer.
Scream, premier du nom, sort à Noël 1996; un moment inapproprié pour certains, mais défendu par Harvey Weinstein car «il n’y a rien d’intéressant à regarder pour les ados et les fans d’horreur» pendant cette période. Le film triomphe partout dans le monde, pas seulement parce qu’il attire les publics visés. Si Scream est la crème de la crème du cinéma d’horreur américain, c’est parce que son mélange de «whodunit» (jeu de pistes à la Agatha Christie), d’humour noir et d’une violence inouïe – réaliste de prime abord, mais amplifiée à l’extrême et étirée dans le temps par la mise en scène – est un coup de génie. Sans parler de la présence terrifiante de «Ghostface», le tueur, ni de la beauté irrésistiblement innocente de l’héroïne, Sidney Prescott (Neve Campbell)…
Wes Craven, l’architecte d’un cinéma rare
Si le mystère et les fausses pistes restent le mode de fonctionnement narratif des suites, à partir de Scream 2 (1997), Wes Craven fait de la saga un laboratoire où ses expérimentations méta, déjà présentes dans Scream et explorées quelques années plus tôt dans Wes Craven’s New Nightmare (1994), sont de plus en plus denses. La scène d’introduction du deuxième opus est, en ce sens, exemplaire : Ghostface assassine un couple à l’intérieur d’un cinéma durant la projection de Stab, un film d’horreur tiré des meurtres de Woodsboro, racontés dans le premier volet. Ce métafilm dans le métafilm, Craven et Williamson continueront de s’en amuser : dans Scream 3 (2000), l’officier Dewey Riley (David Arquette), le flic un peu gauche qui échappe inlassablement au tueur, est consultant sur le tournage de Stab 3. L’intrigue du – vrai – film ne se déroule d’ailleurs plus dans la petite ville de Woodsboro mais à Hollywood, où ce sont les acteurs de Stab qui sont pris pour cible par Ghostface. «Le premier monstre avec lequel vous devez effrayer le public, c’est vous-même», avait déclaré Wes Craven à l’époque de The Hills Have Eyes. Avec la saga Scream, il explicite son propos en brouillant toujours plus les frontières entre réalité, fiction et fiction dans la fiction.
En 2015, Wes Craven décède d’une tumeur au cerveau. Son dernier film fut Scream 4 (2011), qui enrichissait son habituel humour noir d’une satire des réseaux sociaux et des influenceurs. La saga dont il a été l’architecte représente un cinéma rare, conscient de sa propre existence et de sa propre mythologie. Rappelons que le premier film avait été accusé, dans une vague de paranoïa typiquement américaine, d’inspirer de véritables meurtres. Rappelons encore que la tuerie du lycée de Columbine, en 1999, a poussé l’équipe à modifier largement le scénario original de Scream 3 (Kevin Williamson eut d’abord l’idée d’attribuer les meurtres à un groupe de lycéens fans de la saga Stab). Si l’on ne retourne à Woodsboro que lors d’un film de la saga Scream, la ville – fictive – continue de vivre le reste du temps, sans doute rythmée chaque année par les commémorations un peu sordides du premier massacre, en 1996, et, parfois, par un retour de Ghostface, bien décidé à tuer Sidney, sa Némésis. Peut-être qu’à Woodsboro aussi, on a vu et ri devant Scary Movie (Keenen Ivory Wayans, 2000), la parodie de Scream qui a, comme Scream et Stab, donné lieu à de nombreuses suites.
La ville de Woodsboro ne pouvait décidément pas disparaître avec Wes Craven. Aujourd’hui et pour la cinquième fois, Neve Campbell, Courteney Cox et David Arquette affrontent Ghostface dans Scream, réalisé par Matt Bertinelli-Olpin et Tyler Gillett, du talentueux collectif Radio Silence. Un film qui promet de «revenir à l’ADN» de la saga, selon les réalisateurs, sans pour autant verser dans l’hommage un peu simple, mais bien en continuant d’explorer les possibilités infinies de la métafiction; si le titre du film n’est pas complété d’un numéro, au contraire des précédents films de la saga ou des suites de Stab, il y a une raison en particulier, qui ne peut être révélée. Mais celle-ci fait mentir Harvey Weinstein, à l’époque opposé à la réalisation d’un cinquième Scream, parce que, selon une expression qui ne peut être attribuée qu’à lui, «la vache a été trop traite»…
Scream,
de Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett.