Pas d’effets spéciaux dans Lief fir mech, une émouvante histoire d’amitié et de solidarité à hauteur d’adolescentes, aujourd’hui au cinéma. Mais le film a été le premier au Luxembourg à utiliser une toute nouvelle technologie de pointe.
C’est l’histoire de deux adolescentes qui ont changé l’esprit d’une nation : en 2004, aux Pays-Bas, Maartje van Winkel, une jeune fille de 14 ans atteinte d’un cancer des os, prend la défense de sa camarade de classe Derakshan, une réfugiée afghane menacée d’expulsion, auprès de la ministre de l’Asile et de l’Immigration. Se sachant condamnée par la maladie, Maartje souhaite «offrir sa place» à son amie. L’histoire, relayée en masse par les médias à l’époque, fera du bruit, tellement qu’elle mènera à une amnistie générale pour 26 000 demandeurs d’asile en 2006.
Adapté du livre de Judith Koorn Monument voor Maartje, qui retrace la courte vie de la jeune Néerlandaise, le film de Mark de Cloe Iedereen is van de Wereld sort aujourd’hui en salle dans sa version originale sous-titrée et dans son doublage luxembourgeois, sous le titre Lief fir mech. La coproduction entre les Pays-Bas (Rinkel Film) et le Luxembourg (Tarantula) se focalise principalement sur l’amitié entre les deux adolescentes, rebaptisées Arianne (Sophie Lindner) et Zahra (Maryam Akbari) : vingt ans après les faits, le réalisateur «sait» que le récit continuera de «toucher et inspirer les gens». «Cette histoire ne doit pas être perdue», assure Mark de Cloe. De fait, elle semble toujours d’actualité.
Innovation technologique
Le 29 mai 2024, au dernier jour de tournage de Lief fir mech au Luxembourg, une vieille Mercedes est arrêtée à côté d’un camion bleu au milieu des studios de Filmland, à Kehlen, transformés pour l’occasion en… désert afghan. La scène que tourne Mark de Cloe est essentielle : c’est celle de la fuite de Zahra et sa famille, qui montent à bord d’un camion à l’aide de passeurs, afin de fuir leur pays aux mains des talibans. À bonne distance, la vue du coucher de soleil derrière les montagnes fait que l’on se croirait presque dans ce no man’s land étranger – à la différence que nous sommes en intérieur et en pleine journée. L’effet, invisible à l’écran, est rendu grâce à une technologie de pointe : c’est sur un écran LED de 18 mètres de large sur 4 mètres de haut qu’est projeté le décor – du jamais vu encore au Luxembourg.
Avec ses lumières et ses branchements connectés à une console, l’écran «permet de réaliser des plans qu’on ne pourrait pas faire aussi bien dans les décors réels, par exemple à cause d’un accès difficile ou d’un problème d’autorisation de tournage, et ce, avec un maximum de réalisme», explique John Thorborg, superviseur de l’écran pour le tournage du film. Les possibilités sont telles qu’il est possible non seulement de «retransmettre l’éclairage avec une grande précision et en temps réel», donc de «voir le résultat en temps réel» sur le moniteur du réalisateur, mais aussi de «calibrer l’image» en direct, afin de gagner du temps en postproduction.
Un écran LED comme celui-ci, qui a demandé «deux jours d’installation» pour sept jours de tournage au Luxembourg, est déjà largement utilisé à Hollywood, au sein de superproductions comme la série The Mandalorian, tirée de l’univers Star Wars. En Europe, John Thorborg fait figure de pionnier de cette technologie, qu’il maîtrise «depuis 2017», mais son usage au cinéma reste encore secondaire. En cause, son coût : 50 000 euros pour une semaine de tournage, une somme qu’un film indépendant ne peut pas toujours se permettre. Mais Mark de Cloe, pourtant «pas fan du tournage en studio», a rapidement été convaincu du gain de temps et d’énergie, en utilisant l’écran LED notamment pour des scènes de voiture, à l’instar de cette séquence dans le désert afghan : «Par le passé, je me suis souvent retrouvé dans un coffre ou à l’arrière d’une voiture avec mon moniteur. Cela crée plein de problèmes à l’image, avec des changements de lumière, des tunnels… Pour cette scène, je voulais filmer à l’heure dorée : là, elle peut durer toute la journée!»
Instinct des comédiens
L’usage de cette technologie de pointe a, selon Mark de Cloe, un autre avantage, celui de permettre au réalisateur d’être «plus relax, plus concentré, mieux connecté à (s)es comédiens». Un dernier point essentiel, puisque le film, qui parle de combativité, d’espoir et de solidarité, a été conçu avec un certain sens de la famille : on le sent en particulier dans l’alchimie entre les deux jeunes comédiennes principales ou dans le jeu naturaliste des adultes, dont la mère d’Arianne, interprétée par l’actrice luxembourgeoise Marie Jung. Les acteurs sont tous portés par un même instinct puissant, qui rend hommage à l’esprit de cette histoire vraie qui «semble si simple : je meurs, alors mon amie peut prendre ma place», résume Mark de Cloe. «Mais au fond, Ari et Zahra nous confrontent à une injustice universelle.»
Lief fir mech, de Mark de Cloe.