C’est un des livres les plus lus de la littérature française : en adaptant L’Étranger, d’Albert Camus, François Ozon a voulu apporter «un regard d’aujourd’hui» en évoquant subtilement la colonisation en Algérie.
Pour raconter l’histoire de Meursault, cet employé de bureau qui vit avec détachement le décès de sa mère, le réalisateur François Ozon a choisi d’ouvrir le film avec des images d’archives montrant l’Alger des années 1930. Puis apparaît sur l’écran le titre, en arabe et en français. «Il fallait avoir un regard d’aujourd’hui sur cette histoire», a expliqué le cinéaste en septembre à la Mostra de Venise où le film, qui sort demain au cinéma, était en compétition.
S’il se concentre sur le personnage de Meursault, il se permet des libertés par rapport au roman de Camus : chez Ozon, les personnages algériens ont des prénoms comme Djemila, dont le frère va être tué. Le réalisateur de Huit femmes (2002) se démarque également de l’ouverture du livre : «Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas.» «Je me suis dit que ce n’était pas cette phrase qui me choquait aujourd’hui, c’était plutôt une phrase qui est dans la deuxième partie du livre, « j’ai tué un Arabe », et que c’est la clé pour l’adaptation, pour contextualiser cette histoire sur la colonisation française», s’est-il remémoré.
«Liens» et «non-dits»
Ozon a également confié avoir une histoire personnelle avec le pays. «Mon grand-père était juge en Algérie, il a échappé à un attentat et toute ma famille à l’époque est revenue en France, et c’est une histoire que je connaissais très vaguement, mais dont on ne parlait pas.» Selon le réalisateur, le «travail historique, d’introspection», était insuffisant.
En travaillant sur ce projet, il s’est «rendu compte que toutes les familles françaises avaient un lien avec ce pays» et que les «non-dits» autour des relations entre la France et l’Algérie sont encore nombreux, poursuit le cinéaste. Évoquant les «relations compliquées» entre les deux pays, il a précisé avoir tourné le film à Tanger, au Maroc. «J’aurais adoré tourner en Algérie», comme Luchino Visconti avait pu le faire pour une précédente adaptation en 1967, avec Marcello Mastroianni.
Le contexte historique n’a pas été le seul défi d’Ozon : s’attaquer à un monument de la littérature, lu, commenté et étudié n’a pas été aisé et a compliqué le lancement de la production. «Tout le monde me disait : « C’est mon livre préféré, je suis curieux de voir ce que tu vas faire »», a-t-il raconté, lui qui s’est lancé dans cette aventure de «manière un peu insouciante et en même temps un peu angoissée». Financer le projet n’a pas été aisé, car «tout le monde disait que c’était inadaptable». Il a finalement été produit par Gaumont.
De Cary Grant à Robert Smith
S’il a gardé la dimension philosophique du livre, Ozon a mis l’accent sur sa dimension sensuelle, optant pour un noir et blanc très contrasté rendant hommage à la beauté des paysages et des corps. Avec en tête des références à des films américains des années 1950 avec Cary Grant, James Dean ou Elizabeth Taylor.
Il s’est entouré d’un casting de choix, travaillant avec des acteurs qu’il a fait tourner ces dernières années : Rebecca Marder (Mon crime, 2023), Pierre Lottin (Quand vient l’automne, 2024) ou Swann Arlaud (Grâce à Dieu, 2018) dans le rôle du prêtre tentant de recueillir les dernières paroles de Meursault, condamné à mort. Et, dans le rôle de Meursault, Benjamin Voisin, découvert dans Été 85 (2020). L’acteur souligne le «paradoxe» d’un rôle qui «exigeait très peu de transformations», tout en «posture», en «retenue» et en «silence», mais qui l’a «complètement épuisé». «Meursault, c’est mon rôle le plus physique !», assure-t-il.
Dernier clin d’œil à cette relecture moderne : un générique de fin avec un tube de The Cure, Killing an Arab. «J’ai écrit à Robert Smith», a détaillé François Ozon. «Coïncidence, il venait de revoir le film de Visconti et a tout de suite accepté, content que le morceau, mal compris et mal interprété par certains à l’époque, soit remis dans le contexte du livre de Camus.»
L’Étranger,
de François Ozon. Sortie demain.