À seulement 26 ans, Nathan Ambrosioni signe son quatrième film, Les enfants vont bien, un drame familial qui interroge la notion, peu connue, de la disparition volontaire. Vertigineux.
À la fin de l’été, au festival du Film francophone d’Angoulême (FFA), le film a remporté tous les suffrages, repartant avec le prix le plus prestigieux, le Valois de diamant, ainsi qu’une «mention spéciale» du jury, présidé par l’actrice Diane Kruger, pour les prestations des deux jeunes acteurs, plongés au cœur d’un drame familial. C’est d’ailleurs un peu la marotte du réalisateur Nathan Ambrosioni, qui aime en effet analyser les mécanismes qui agitent les familles.
Ainsi, après le très réussi Toni en famille (2023), il replace au centre de l’écran l’actrice Camille Cottin. Après son rôle de mère célibataire de 40 ans qui élève comme elle peut sa grande tribu, jusqu’à étouffer ses propres désirs, la voilà dans une autre impasse : celle d’assumer soudainement la charge de deux enfants… qui ne sont pas les siens.
L’histoire soulève une notion peu connue du grand public, celle de la disparition volontaire qui toucherait près de 15 000 personnes en France chaque année. Au Japon, le terme pour désigner ces disparus, qui décident du jour au lendemain de tout quitter, de se volatiliser, est évocateur : les «évaporés».
C’est en 2019, inspiré par une pièce jouée à Avignon (Disparu, de Cédric Orain), que le réalisateur a décidé de développer le sujet : «Ça m’a hanté, j’ai eu envie de comprendre, explique-t-il. Quel est ce droit à l’oubli dont chacun de nous dispose ? Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Comment évolue une famille avec un élément manquant ? Et comment peut-elle se construire à partir d’une situation d’irrésolution ?».
C’est un film de deuil, même si c’est un deuil impossible
Voilà toutes les questions qu’abordent Les enfants vont bien, qui démarre par une fratrie «sous tension». Il y a Jeanne (jouée par Camille Cottin), qui reçoit la visite inattendue de Suzanne (Juliette Armanet, excellente dans le récent Partir un jour) accompagnée de ses deux jeunes enfants. Le lendemain, cette dernière part, laissant sa sœur dans une situation nouvelle, contrainte de s’occuper de ses neveux, avec toute la complexité que cela implique.
«Je ne connaissais pas cette notion de disparition volontaire, intervient l’actrice. Je me suis documentée au travers de témoignages de proches ayant vécu une histoire similaire. Ils racontaient leur expérience et la difficulté, l’impossibilité même, de faire leur deuil. C’est d’une extrême violence, ils font face à une incompréhension immense.»
C’est le cas de son personnage, dont les évènements vont la forcer «à se mettre en mouvement malgré elle, explique encore le cinéaste. Cette disparition, c’est son chaos à elle. Elle va devoir non seulement se mobiliser mais également accepter d’accéder à ses émotions.» Quant à Suzanne, elle brille… par son absence, et ce, dès le début du film, qui met ainsi l’accent sur une personne manquante «dont on parle comme un fantôme, poursuit Nathan Ambrosioni.
Je voulais une histoire qui parle de quelqu’un qu’on ne voit jamais, qu’il y ait une présence qui se dérobe. Le spectateur va fantasmer ce qu’elle devient, tenter de comprendre les raisons de sa disparition sans jamais n’avoir de réponse. Car on ne peut expliquer l’inexplicable».
Il précise que l’intention du film va toutefois plus loin : «Elle est de regarder ceux qui restent, de les voir avancer malgré cette absence de réponses». D’où cette mise en scène tout en sobriété et en sensibilité avec, au centre, Camille Cottin, qui livre là l’une de ses interprétations les plus fines et intériorisées. Par ses silences et la force de son regard notamment.
«Le ton du film est à la délicatesse, à l’intimité, à la douceur dans les regards, pas au spectaculaire», confirme le réalisateur, qui évoque une œuvre qui commence par un «traumatisme» pour aller vers «la vie, la lumière, l’acceptation». Au bout, une tragédie intime d’une grande justesse et vertigineuse, comme lorsque la juge finit par demander à Jeanne si elle peut concevoir que l’on abandonne les gens par amour. «C’est très puissant», conclut Camille Cottin.