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[Cinéma] Le temps selon Cédric Klapisch


(Photo : afp)

Situé entre 1895 et 2025, La Venue de l’avenir rappelle l’importance du temps dans le cinéma de Cédric Klapisch. Retours en arrière.

Connecté et déconnecté

Sur la question du temps, Cédric Klapisch est un réalisateur paradoxal. Souvenons-nous. Riens du tout (1992) est le genre de film déphasé par rapport à son époque. Le scénario est basé sur un lieu, c’est «l’histoire» d’un grand magasin parisien, ce qui donne le bon prétexte à un huis clos avec assez d’espace pour la volubilité d’un Fabrice Luchini pour le coup plutôt sobre. En réalité, davantage que le passage du court métrage au long, il s’agit de «théâtre filmé», certes à plusieurs étages, mais pas obligatoirement à plusieurs strates. Non, le premier Klapisch officiel, celui qui a marqué son entrée dans le jardin des auteurs français post-Lelouch ou post-Sautet, c’est Le Péril jeune (1994), un drôle de film à défaut d’un film drôle, qui est aussi le «premier Duris», acteur qui restera à jamais affilié à Klapisch, de la même façon que Divine à John Waters, Johnny Depp à Tim Burton, Toni Servillo à Paolo Sorrentino ou les acteurs amateurs à Bruno Dumont – jusqu’à Camille Claudel 1915 (2013). Le Péril jeune est ce que l’on appelle un «film générationnel», et sûrement pas un coup d’essai sans suite, non, il annonce Cédric Klapisch en tant que metteur en scène a priori connecté à son époque. Mais il y a un paradoxe : le film se déroule… dans les années 1970!

Les petits riens du quotidien

La suite? Chacun cherche son chat (1996). Comme dans Riens du tout, voilà du cinéma de lieux clos, en l’occurrence, là il s’agit d’un quartier et, au final, c’est plus resserré, y compris sur le plan du cadre, que les Galeries Lafayette. Le geste de Cédric Klapisch s’affine : son cinéma, c’est l’art de la proximité, celui qui tape à l’épaule, avec qui on va volontiers boire un verre. Du «cinéma de potes», mais qui ne nous laisse pas en dehors de l’écran. On était venu chercher un chat et on y a trouvé de quoi sourire et se réconforter. En réalité, à l’exact contraire des comédies franchouillardes servies à longueur d’années avec une écriture paresseuse, des situations réchauffées et des stratégies de prime time cyniques, les films de Klapisch, à partir de là, peuvent se voir sous l’angle tout à fait honorable des «feel good movies». Oui, il s’y prend bien, Klapisch, pour capter et capturer ces petits riens qui façonnent le quotidien, ces petits riens du tout; il en fait des films et disons qu’il les fait bien. Un air de famille (1996)? Le théâtre filmé, nous y sommes, puisque c’est l’adaptation de la pièce d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri – un lieu, un seul ou presque, le bistrot, et cette fois-ci pas des amis ni des voisins, mais une famille. Quelques voyages temporels ouvrent la porte du bistrot, vu qu’il y a des flash-backs du style «c’était mieux avant» avec, en bande-son qui enveloppe le goût d’amertume et de nostalgie, Come prima interprétée par Dalida.

Films générationnels

Sur la question du temps, Cédric Klapisch restera-t-il estampillé «réalisateur des années 1990»? Peut-être pourrait être une réponse. Sorti en 1999, le film s’inscrit dans un genre décalé (le futur vu au siècle dernier) qui reflète l’approche des années 2000 et le fameux bug, c’est un témoignage de l’époque de science-fiction à la française – un genre, disons-le, très marginal – avec son Jean-Paul Belmondo aux cheveux longs, là où Géraldine Pailhas les a rouges, et Romain Duris déjà courts avant le feu d’artifice à venir. Klapisch, c’est les «nineties»? D’accord, mais les années 2000 lui appartiennent avec L’Auberge espagnole (2002) et Les Poupées russes (2005), une «duologie», soit un format qui, en France, est très marginal. Et pour cause : s’il s’agit bien d’un long métrage français, il s’agit avant tout d’un film européen, Cédric Klapisch invente le cinéma Erasmus. C’est le prolongement de ses précédents en plus grand : finis le grand magasin, le quartier où tout le monde est pote ou le troquet qui sert de réunion de famille, l’Europe est un lieu seul, un labyrinthe où il y a de quoi se perdre à cause de l’administration, mais un champ des possibles, culturel, linguistique ou encore sentimental. L’observation sociologique de Klapisch s’étend à travers un métissage par l’hyperconnexion – ce sont encore les prémices des réseaux sociaux et ces deux films, revus sous cet angle, sont touchants, car l’innocence qui en découle ne reviendra jamais.

Des lendemains qui déchantent

En tournant Paris (2008), Klapisch restreint son ambition ou alors opère une conciliation entre le cinéma des petits riens et le film choral. Alors que ledit film porte le nom d’une ville et alors que ça faisait longtemps qu’on avait compris, une évidence d’un coup surgit : Klapisch aime surtout filmer des personnages! Il possède une qualité qui n’est pas si courante dans la comédie hexagonale (si l’on admet que le genre qui prédomine chez lui est la comédie) : les rôles «secondaires» ne sont jamais négligés. C’est vrai, Klapisch ne les délaisse jamais sur le trottoir de la solitude, et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles il fallait qu’il mette un troisième point de suspension avec Casse-tête chinois, indispensable pour justifier une trilogie, mais dispensable en tant que gueule de bois, en ce qu’il pose un miroir plombant de la vie à quarante ans. L’Auberge espagnole et Les Poupées russes sont synonymes de fête; Casse-tête Chinois, de défaite. Deux Moi (2019) poursuit la traque de la dépression, mais avec des trentenaires. On dirait non pas que c’était mieux avant, mais que c’est bien pire aujourd’hui. En corps (2022), une ode à la danse, se permet de balayer un tantinet l’étude sociologique du présent, en avançant sur le fil entre le classique et le moderne, l’opéra et la petite musique «klapischienne», le sympa et le «feel good». Et après?

Retour vers le passé

La Venue de l’avenir est un film qui ne ressemble pas à des tas d’autres dans leur haut concept de superpositions temporelles; ce n’est ni Back to the Future (Robert Zemeckis, 1985) ni Les Visiteurs (Jean-Marie Poiré, 1993), mais bien un film de Cédric Klapisch. Le point de départ cette fois n’est pas une auberge espagnole, mais une maison en Normandie. Héritée par des cousins, qui n’ont pas un air de famille, elle fait office de passerelle du récit entre aujourd’hui et hier, 1895, tiens, l’année de la naissance du cinéma. Il y a des personnages, plein, les visages familiers le sont au sens littéral car incarnés par des «fils de», soit Suzanne Lindon, Vassili Schneider, Paul Kircher, Sara Giraudeau et Abraham Wapler, lequel rappelle Romain Duris avec ses silences extatiques et son regard rieur. En plus des caméos surprises (spoiler : Vincent Perez!), il y a les potes de Cédric Klapisch, l’éternel «monsieur Tout-le-monde» Zinedine Soualem ainsi que Cécile de France, qui semble ici rejouer la bourgeoise qu’elle surjouait exprès durant une scène familiale dans Les Poupées russes. Comme Hitchcock et comme d’habitude, Cédric Klapisch apparaît trois secondes dans le plan, à croire qu’il garde ce gimmick au fil de ses films pour se regarder évoluer – ou vieillir.

Plus fort que l’acide dans Le Péril jeune, l’ayahuasca permet de plonger dans le passé, là où, dans le film même, le focus sur le présent reste en arrière-plan. Il n’y a pas l’obsession «film générationnel», juste quelques traits discrets, comme lorsque, pour dire «j’adore», Pomme dit «je suis choquée», ou quand un senior confond chat (l’animal) et chat (la communication virtuelle), comme quoi en 2025 encore, chacun cherche son chat. Dans la juxtaposition, de la fin du XIXe siècle et du début du XXIe, Klapisch se garde bien de tirer une thèse sur l’évolution technique et artistique (en 1895, la photographie menace de remplacer la peinture; en 2025, quiconque possède un smartphone est photographe) pour donner à voir un film impressionniste, familier et familial, qui, paradoxe ou non, semble royalement tourner le dos aussi bien à la tendance qu’au rétro. En cela, La Venue de l’Avenir ne ressemble pas à un film de 2025.

La Venue de l’avenir
de Cédric Klapisch.
Actuellement en salle.

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