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[Cinéma] Le Mur de Berlin en partie reconstruit pour les besoins d’un projet fou


L'ouvrage sera ensuite symboliquement détruit pour le 29e anniversaire de la chute du Mur, qui a balafré Berlin et séparé ses habitants pendant 28 ans. (illustration AFP)

Il est tombé dans l’allégresse et les larmes en 1989. Près de 30 ans plus tard, le Mur de Berlin devrait être en partie temporairement reconstruit pour parachever le projet pharaonique d’un cinéaste russe sur le totalitarisme.

Cette « ville dans la ville », cernée par une enceinte et recréant un État policier comme l’ex-RDA, doit accueillir la première mondiale de « DAU », énigmatique suite de films entamés il y a 13 ans par Ilya Khrzhanovsky, 43 ans. A partir du 12 octobre et jusqu’au 9 novembre, les visiteurs se verront délivrer un visa d’entrée – payant – pour pénétrer en plein cœur de la capitale allemande, et laisseront leur téléphone portable à de peu engageants gardes-frontières.

Pas « une version Disney de la RDA »

L’édification de cette micro-cité, composée de 900 pans de mur de 3,60 mètres de haut, reste soumise à l’autorisation des autorités locales, mais les organisateurs se sont montrés optimistes mardi face à la presse. « C’est en route », a assuré mardi Thomas Oberender, directeur du festival Berliner Festspiele, pour qui il ne s’agit pas seulement « d’une première de film, mais d’un mélange d’expérience sociale, artistique » et même architecturale. L’objectif n’est pas de créer « une version Disney de la RDA », mais de susciter « un débat politique et social sur la liberté et le totalitarisme, la surveillance, la coexistence et l’identité nationale », décryptent les hôtes berlinois de ce projet controversé.

Érigé pour 6,6 millions d’euros, l’ouvrage doit voir le jour en partie sur l’avenue Unter den Linden, ancienne vitrine du régime communiste, avant d’être symboliquement détruit pour le 29e anniversaire de la chute du Mur, qui a balafré Berlin et séparé ses habitants pendant 28 ans. « Par respect pour les victimes qui ont réellement vécu ces situations, on devrait se tenir à l’écart de tout ça », a critiqué Sabina Bangert, élue des Verts à Berlin, dans le quotidien Tagesspiegel.

Mais d’autres responsables s’enthousiasment, à l’image de la ministre conservatrice de la Culture Monika Grütters, « absolument convaincue que ce sera un événement mondial ». Car il ne s’agit en rien d’une projection classique : selon les maigres détails communiqués, les spectateurs échangeront leurs téléphones portables contre un appareil numérique, hors connexion, qui les guidera dans une « découverte personnalisée ». Outre Ilya Khrzhanovsky, le projet devrait réunir le chef d’orchestre grec Teodor Currentzis, le compositeur Brian Eno, la performeuse Marina Abramovic, le groupe Massive Attack et, selon l’agence DPA, le célèbre graffeur anonyme Banksy.

Hors normes et mystérieux

« DAU-Liberté », l’évènement berlinois, devrait précéder « DAU-Egalité », prévu en novembre à Paris, puis « DAU-Fraternité » début 2019 à Londres, tous organisés par l’homme d’affaires et philanthrope russe Sergueï Adoniev, installé dans la capitale britannique. Hors normes et mené dans le plus grand secret, ce projet visait à l’origine à raconter la vie du prix Nobel de physique soviétique Lev Landau (1908-68), surnommé « Dau », par ailleurs militant de l’amour libre et emprisonné lors des purges staliniennes.

Entamé en 2005, le tournage a viré à l’expérience « brutale et baroque », selon le magazine Caravan, lorsque son concepteur a décidé d’enfermer plusieurs centaines d’acteurs amateurs dans une reconstitution de Russie totalitaire installée en Ukraine. Entre 2009 et 2011, il leur a été demandé de vivre comme en URSS – des sous-vêtements rêches à la nourriture en conserve payée en rouble -, sans pouvoir utiliser de téléphone portable, de réseaux sociaux ou de mots modernes sous peine d’amende. « Ils sont tombés amoureux, ont trahi leurs amis, trompé leurs partenaires, vécu des expériences, été arrêtés, eu des enfants, vieilli », affirment les concepteurs de l’évènement. Le but était de filmer leurs interactions spontanées « partout et tout le temps », selon le directeur de la photo, Jürgen Jürges, qui a passé trois ans sur le plateau.

Après avoir accumulé plus de 700 heures de rushes, Khrzhanovsky a fait détruire cette fausse cité par des néo-nazis, selon plusieurs médias, et en a tiré 13 films et plusieurs séries, transformant le biopic d’origine en monumental projet multimédia. « L’expérience continue », promet une courte vidéo publiée sur un site dédié.

LQ/AFP