Présenté hors compétition le mois dernier au LuxFilmFest, Tove est visible depuis quelques jours en streaming sur la plateforme Sooner. Un biopic à la fois tendre et complexe qui met en lumière la vie privée de la créatrice des Moomins.
En Finlande, elle est regardée comme l’artiste la plus célèbre du XXe siècle. À l’étranger, on la connaît surtout comme la créatrice des Moomins, cette famille de trolls aux silhouettes d’hippopotames qui sont les héros de livres illustrés pour enfants et de bandes dessinées (puis, plus tard, de plusieurs films et séries d’animation, dont Les Moomins, au début des années 1990). Mais Tove Jansson, née en 1914 et morte en 2001, quelques semaines avant son 87e anniversaire, était une artiste accomplie à la personnalité complexe, qui a lutté pour affirmer son art et son identité, indépendamment de son succès. C’est le sujet de fond du biopic de Zaida Bergroth qui, avec ce cinquième long métrage au titre intime, raconte la décennie qui a précédé le succès, avec les Moomins, de celle que la réalisatrice appelle «le trésor national de la Finlande». Une période de doute et de passions, artistiques et amoureuses, pour une existence hors des conventions dans la Helsinki d’après-guerre.
Comme tous les enfants finlandais, Zaida Bergroth a grandi avec les Moomins. «J’ai ce livre, Moomin le troll, avec un autographe de Tove, racontait-elle au festival BFI Flare de Londres. Elle a écrit mon nom et a même dessiné un petit Renaclerican (NDLR : le meilleur ami de Moomin) sur la première page. Ce livre, c’est mon trésor, je l’ai eu quand j’étais enfant. Toutes ces histoires ont toujours fait partie de ma vie.» Zaida Bergroth ne cache pas que la passion qu’elle éprouve depuis toujours pour Tove Jansson l’a effrayée, au point qu’elle s’est demandé si elle était la bonne personne pour s’atteler au sujet. «Tove semblait si merveilleuse», affirme-t-elle. «Peut-être que je l’admirais trop ?»
Douceur et dureté
De même que Tove est né de l’adoration de la cinéaste pour l’artiste, la vie de Tove Jansson est rythmée par l’amour. Inconditionnel envers sa mère, l’amour de Tove pour son père, sculpteur célèbre et dont la future créatrice des Moomins considère n’être que «l’ombre morne de son génie», est plus tumultueux. Dans sa vie amoureuse, elle est d’abord engagée dans une relation interdite avec l’homme politique et philosophe Atos Wirtanen, avant de rencontrer la directrice de théâtre Vivica Bandler, avec qui elle vit une relation passionnée. «J’ai pu découvrir (Tove Jansson) en tant que personne complexe, avec ses propres insécurités et ses doutes, mais aussi avec une volonté d’aimer jusqu’au bout», résume Zaida Bergroth.
Tove est filmé en 16 mm, un format jadis associé aux films à petit budget, en particulier au cinéma d’horreur. Mais la cinéaste, qui livre un film délicat, insuffle à la pellicule un mélange de douceur et de dureté qui épouse parfaitement la forme de son portrait de Tove Jansson. La traductrice en français des Moomins, Kersti Chaplet, se souvenait de l’auteure dans une interview donnée en 2019 à Libération : «Tove était très fâchée quand les gens disaient que Moomin, c’était son portrait. Évidemment il y avait de ça, parce que Moomin est très sentimental, ce qu’elle était aussi, mais elle avait beaucoup plus à voir avec la Petite Mu, qui est très aventureuse, connaît la colère et la joie mais pas la tristesse.»
L’homosexualité, pas un problème
L’histoire d’amour avec Vivica Bandler, pourtant, a brisé le cœur de Tove. Zaida Bergroth rappelle que pour l’auteure, cette histoire a «changé sa vie» et l’a «profondément affectée». Mais à aucun moment, Vivica ou Tove n’ont été préoccupées par le regard des autres. Tove adopte ce point de vue, très juste, de ne pas faire de l’homosexualité de son héroïne une problématique du film qui le fasse basculer dans le discours de société. «Tove elle-même n’avait pas de problème avec ça, rappelle Zaida Bergroth. Elle est tombée amoureuse violemment et passionnément, et elle était heureuse de cela.» «Ça m’a paru rafraîchissant de raconter une histoire d’amour entre personnes du même sexe où la question de genre n’a causé des problèmes ni à l’une, ni à l’autre», ajoute-t-elle.
Cette plongée dans dix années décisives pour la carrière et la vie de Tove Jansson est charmante et inspirante. L’auteure et peintre y est interprétée par Alma Pöysti, sublime, et qui partage une ressemblance frappante avec Tove, qu’elle avait déjà incarnée au théâtre, dans une pièce biographique sans lien avec le film, ce qui ne l’a pas empêchée de se dire «terrifiée» à l’idée de reprendre le personnage devant une caméra. «Mais j’ai oublié ma peur, et Zaida a été douée pour me tenir la main et me guider à travers cela. Nous avons oublié la pression et nous nous sommes perdues dans le monde de Tove.»
Valentin Maniglia
Tove, de Zaida Bergroth.
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