Good Boy se place à hauteur de truffe, en laissant un chien voir ce que les humains ignorent encore : le danger rôde, et lui seul le sent. Zoom sur le rôle singulier des chiens au cinéma, en tant que compagnons fidèles, présences inquiétantes ou reflets de nos instincts.
Fidélité en plan large
Il est là, au seuil de la caverne, dans les marges de l’histoire, et au centre de l’image : le chien. Compagnon de l’homme depuis la préhistoire, il devient tôt une figure cinégénique à part entière. L’un des premiers héros du grand écran? Un berger allemand sauvé d’un champ de bataille en 1918 : Rintintin, devenu icône hollywoodienne. Star de Where the North Begins (Chester M. Franklin, 1923), il évite à Warner Bros de faire faillite. Le mythe est lancé : le chien ne fait pas que jouer, à la maison ou au cinéma, il agit. Le cinéma célèbre ce contrat, cette fidélité sans faille.
Dans Lassie Come Home (Fred M. Wilcox, 1943), la séparation d’un enfant et de sa chienne devient une épopée; chaque foulée de Lassie est un acte d’amour. L’archétype se décline : du meilleur ami des enfants Beethoven (Steve Miner, 1992) au légendaire Hachikō, immortalisé deux fois, d’abord au Japon (Seijirō Kōyama, 1987), puis à Hollywood (Lasse Hallström, 2009). Il s’agit là d’une histoire vraie : chaque soir, Hachikō attendait son maître décédé pendant près de dix ans – une loyauté qui dépasse l’humain, mais aussi la fiction. Et puis le chien erre partout dans l’animation. Dug, dans Up (Pete Docter, 2009), transforme la bête de garde en acolyte, alors que dans Lady and the Tramp (Clyde Geronimi, 1955), un plat de spaghetti fait naître l’une des images les plus romantiques du 7e art, scellant l’union d’une cocker de salon et d’un bâtard des rues. Milou et Idéfix, quant à eux, ne quittent pas leurs maîtres, donc le cadre; ils sont là, fidèles à l’écran.
Une palette de jeux
Quand le chien, fidèle miroir, se fissure, c’est un genre qui s’ouvre : l’horreur. Dans Cujo (Lewis Teague, 1983), un saint-bernard est contaminé par la rage; il assiège une mère et son fils, bloqués dans une voiture; il faut cinq chiens dressés, un animatronique, et même un cascadeur en costume pour incarner ce monstre familier. Cujo n’est pas un loup : il est un ami devenu ennemi. Dans Man’s Best Friend (John Lafia, 1993), Max le dogue du Tibet est d’abord caressant avant de se transformer en machine à tuer génétiquement modifiée. Comme si l’homme, en bricolant l’affection, déclenchait l’épouvante. Au rayon comédies, Didier (Alain Chabat, 1997) est joué par un labrador un poil blasé avant de devenir un homme avec un cerveau canin, interprété par son réalisateur, qui jette alors un regard loufoque sur l’anthropomorphisme.
Et même dans les mondes gothiques, les chiens gardent leur patte symbolique. Zéro, le chien-fantôme de Jack Skellington dans The Nightmare Before Christmas (Henry Selick, 1993), flotte dans la brume avec son nez-citrouille. Conçu à l’origine en animation 2D, c’est une marionnette souple et translucide, manipulée feuille de plomb et ruban. Un esprit fidèle encore, mais spectral. L’ambivalence se retrouve dans Amores perros (Alejandro G. Iñárritu, 2000) avec trois récits et trois types de chiens : un rottweiler, avatar d’un désir de revanche sociale via les combats, un mini-chien perdu sous les planches d’un appartement en ruine et une meute de dogs errants, famille de substitution d’un tueur repenti. Tous révèlent en fait des fractures humaines : la violence, la trahison et l’abandon.
Festival de canins
Il y a aussi les chiens qui sont des stars en chair et avec os. Terry, la chienne derrière Toto dans The Wizard of Oz (Victor Fleming, 1939) touche plus d’argent qu’un figurant humain (125 dollars par semaine); elle passe même deux semaines de convalescence chez Judy Garland, après une patte écrasée sur le tournage. Alors que dans The Artist (Michel Hazanavicius, 2011), Uggie joue le burlesque, comme Billy Bob, le chien punk d’un punk à chien interprété par Benoît Poelvoorde dans Le Grand Soir (Benoît Delépine et Gustave Kervern, 2012), il obtient la Palm Dog à Cannes. Et ce n’est pas tout (tout) : le jack russell laisse ses empreintes sur Hollywood Boulevard aux côtés de Fred Astaire, Marilyn Monroe et Grace Kelly, mais aussi de Rintintin, Lassie et Strongheart, ce berger allemand des films américains des années 1920.
Touchants et drôles (…humains?), les chiens sont décidément de bons comédiens, intemporels, du Milo de The Mask (Chuck Russell, 1994), qui incarne le comique physique à Gromit, le héros flegmatique des Wallace & Gromit de Nick Park, soit le cabot qui n’a pas de bouche ni de voix – tout passe par les yeux – mais un jeu qui renvoie à celui de Buster Keaton, en pâte à modeler. Et puis, derrière la drôlerie, le chien reste une conscience morale. Dans Umberto D. (Vittorio De Sica, 1952), Flike, un petit chien de rue devient l’ultime lien d’un vieillard au monde, lui, en tant que seul être vivant à comprendre la détresse. Flike joue face à des acteurs non professionnels, il faut y voir un choix néoréaliste qui renforce l’authenticité de leur duo et la puissance de leurs liens, une idée résumée dans le titre même du remake de Francis Huster en 2008, Un homme et son chien.
Le flair du cinéma
De plus en plus, le cinéma mondial traite le chien sous toutes ses coutures. En Asie, il est une parabole sociale, comme dans Black Dog (Guan Hu, 2024), où un ancien taulard et un chien errant trouvent refuge dans le désert de Gobi; l’un a purgé sa peine alors que l’autre est soupçonné de rage; ils composent un binôme de réprouvés silencieux. En Amérique latine, c’est un road movie qui surprend : Bombón : el perro (Carlos Sorín, 2004), dans lequel un homme sans emploi hérite d’un dogue argentin; il n’est pas question du début d’un conte de fées, mais d’une réinsertion discrète. Les documentaires prolongent l’exploration. Dans Dogs (Netflix, 2018), on suit les chiens d’assistance, de guerre, de refuge, tandis que dans Des chiens et des hommes (2017), les destins croisés (détenu et chien, enfant autiste et chien guide) illustrent ce que la fiction suggérait déjà – encore une fois, le chien ne joue pas seulement, il sauve aussi.
Et puis, tout juste sorti, il y a Good Boy (Ben Leonberg, 2025), un film d’horreur qui boucle la boucle et place la caméra disons… à quatre pattes. Le héros répond au nom d’Indy, un scottish retriever. Le spectateur voit ce que lui seul perçoit : une maison hantée, pressentie bien avant l’humain. Il s’arrête net. Il regarde sous le lit. Il aboie, dans le vide ou non. La langue canine, soit celle qui pend et qui bave, est un langage cinématographique. Il s’agit de filmer l’instinct. Si son double cascade assure les scènes les plus physiques, à l’écran, c’est lui qui mène le récit. Comme on dit, il ne lui manque que la parole. C’est comme un retour aux origines du 7e art, quand les films étaient muets.
Good Boy, de Ben Leonberg. En salles.