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[Cinéma] L’autre génocide allemand porté à l’écran


Entre 1904 et 1908, le massacre des Héréros et des Namas par les troupes coloniales allemandes a fait au moins 70 000 morts. (Photo : zero one film)

Un film porte à l’écran une page longtemps occultée de l’histoire coloniale allemande : le génocide des Héréros et des Namas, en Namibie, premier génocide du XXe siècle.

Sorti dans les salles allemandes fin mars, le film Der vermessene Mensch, du réalisateur Lars Kraume, raconte l’histoire d’un ethnologue berlinois parti étudier les peuples indigènes en Namibie pendant leur massacre, récoltant leurs crânes pour des expériences scientifiques à caractère racial. «L’époque coloniale a longtemps été refoulée par l’Allemagne, qui a perdu toutes ses colonies en 1919. Ce film est une contribution pour que les Allemands prennent conscience de leurs responsabilités», affirme Lars Kraume, 50 ans.

Le IIIe Reich occupe une place prépondérante dans les programmes scolaires allemands. Les films, documentaires ou fictions et les livres sur les crimes nazis sont innombrables. Jusqu’ici en revanche, une seule fiction, le long métrage fleuve (4 h 25) Morenga, de l’Allemand Egon Günther, présenté au festival de Berlin en 1985, aborde ce que de nombreux historiens considèrent comme le premier génocide du XXe siècle, celui des Héréros et des Namas. Après une révolte des indigènes en 1904, ordre fut donné aux soldats allemands d’exterminer sans distinction hommes, femmes et enfants. Des camps de concentration sont même ouverts en 1905 où les prisonniers sont éliminés par le travail et succombent à la maladie et à la malnutrition.

Un héros ambivalent

Depuis une vingtaine d’années, le souvenir de ce massacre où au moins 60 000 Héréros et 10 000 Namas ont trouvé la mort entre 1904 et 1908 dans ce territoire d’Afrique australe a ressurgi. «Après le centenaire du génocide en 2004, les historiens et activistes ont fourni un énorme travail sur le sujet», constate Joël Glasman, professeur d’histoire de l’Afrique à l’université de Bayreuth. L’empire colonial allemand, plus petit que ceux des Français ou des Britanniques, s’étendait sur plusieurs pays africains, dont le Burundi, le Rwanda, la Tanzanie, la Namibie et le Cameroun.

«Le film de Lars Kraume m’a profondément ému», reconnaît Israel Kaunatjike, militant pour les droits des Héréros, qui vit depuis plus de 40 ans à Berlin. Selon lui, cette fiction permet de toucher davantage de personnes qu’un documentaire. Der vermessene Mensch a été montré dans des villages héréros. «C’était très émouvant. Les gens trouvaient Lars Kraume courageux de montrer un tel film aux descendants des victimes», raconte Israel Kaunatjike, âgé de 76 ans.

Le film a fait également l’objet de projections spéciales, dont une au Bundestag, mais aussi pour les classes des lycées. «Les élèves ont bien compris l’ambivalence du héros – l’ethnologue berlinois Alexander Hoffmann – et voulaient en discuter», explique Lars Kraume. Convaincu au début de l’histoire qu’il n’existe pas de race supérieure à une autre, l’ambitieux étudiant finit par se ranger aux thèses ambiantes par arrivisme. Des thèses qui ouvriront la voie à l’idéologie nazie, est-il expliqué dans un appendice à la fin du film.

Reconnaître le génocide

Le réalisateur a pris le parti de raconter l’histoire d’une perspective allemande, celle des bourreaux, même si le second rôle est occupé par une traductrice héréro, Kezia Kambazembi (interprétée par l’actrice namibienne Girley Charlene Jazama), avec qui l’ethnologue se lit d’amitié. «C’est aux Héréros et aux Namas qu’il appartient de raconter l’histoire de la perspective des victimes», estime Israel Kaunatjike. «Mais, malheureusement, ils n’ont pas d’argent pour faire un film.»

Pour Lars Kraume et Israel Kaunatjike, le gouvernement allemand a encore beaucoup à faire pour tourner la page des horreurs du colonialisme. «Il faut une demande officielle de pardon du président allemand en Namibie et une restitution de tous les crânes et ossements encore dans les collections allemandes pour qu’ils soient enterrés», affirme le réalisateur.

En mai 2021, l’Allemagne avait pour la première fois reconnu ce génocide et promis de payer plus de 1,1 milliard d’euros sur trente ans pour aider au développement en Namibie. Une partie des crânes ont été restitués. Mais pour Israel Kaunatjike, «on ne peut pas remplacer des réparations par de l’aide au développement». Sous la pression de l’opposition, le gouvernement namibien a demandé en octobre dernier de renégocier l’accord sur le génocide conclu en 2021 avec l’Allemagne.

Der vermessene Mensch, de Lars Kraume.