Avec Le Temps d’aimer, Katell Quillévéré raconte l’histoire de deux individus dans la France de l’après-guerre : elle, tondue en 1947, et lui, homosexuel. Deux destins reliés par le mensonge.
Deux êtres, deux secrets, unis pour le meilleur et pour le pire : avec Le Temps d’aimer, Katell Quillévéré, la réalisatrice de Réparer les vivants, fait son retour dans les salles obscures et pose une question : n’est-il jamais trop tard pour aimer? Six mois après sa présentation dans une section du festival de Cannes, cette fresque historico-sentimentale ancrée dans la France de l’après-guerre s’apprête à rencontrer son public. Entre-temps, le film a remporté fin août le premier prix (Valois de Diamant) du Festival du film francophone d’Angoulême.
L’histoire se passe en 1947. Sur une plage normande, Madeleine (Anaïs Demoustier), serveuse dans un hôtel-restaurant, mère d’un petit garçon, fait la connaissance de François (Vincent Lacoste), un étudiant riche et cultivé mais mystérieux. Le coup de foudre est immédiat. Les deux s’unissent très vite. Pour Madeleine, cette union est d’abord une opportunité : oublier les horreurs de la guerre et surtout son amant nazi, avec lequel elle a eu un fils, Daniel. Tondue et chassée de chez elle, Madeleine est une femme meurtrie et blessée.
L’amour sous toutes ses coutures
Pour François aussi, l’idée de laisser son passé derrière lui est une perspective alléchante. De cet opportunisme partagé, l’amour naîtra-t-il? Fruit de plusieurs années de travail, ce quatrième long métrage est inspiré de la vie de la grand-mère de la réalisatrice de Suzanne, qui a eu un enfant à 17 ans avec un soldat de la Wehrmacht. «C’est une histoire qui est restée secrète pendant très longtemps, déclarait la cinéaste. Quand la vérité a fini par se savoir, j’ai eu envie de faire ce film, qui n’est pas totalement autobiographique.»
Pour moi, le cinéma, c’est faire peur, pleurer, rire…
Née à Abidjan (Côte-d’Ivoire) en 1980, Katell Quillévéré grandit à Paris «dans un milieu socialement aisé, mais éloigné du monde de la culture et du cinéma». Elle se forme au 7e art à l’université. «Dans ma famille, personne n’était artiste, confiait-elle. J’ai le sentiment d’être partie de zéro même si j’avais tous les codes sociaux pour réussir.» Son premier film, Un poison violent (2010), reçoit un accueil mitigé. C’est Suzanne, le récit d’un amour qui emporte tout avec Adèle Haenel et Sara Forestier, qui lui apporte une certaine notoriété.
Vient Réparer les vivants en 2016, adaptation du best-seller de Maylis de Kerangal, qui fait d’elle l’une des réalisatrices à suivre. Romanesques, ses films suivent souvent un fil conducteur : celui de l’émotion. «Pour moi, le cinéma, c’est faire peur, faire pleurer, faire rire… L’expression des sentiments est quelque chose de fondamental, presque d’ontologique», insistait-elle. Une feuille de route que l’on retrouve dans Le Temps d’aimer, qui explore les expressions du sentiment amoureux sous toutes ses coutures. Comme lorsqu’elle explore l’amour maternel.
Amis dans la vie, amants à l’écran
«Comment aimer un enfant qui vous renvoie à la faute ? Comment montrer la difficulté à aimer? Il était essentiel pour moi de ne pas représenter la maternité comme un cliché, mais dans toute son ambivalence», affirmait-elle. La tension dramatique se construit dès les premières minutes du film. Les images sont soignées, le rythme aussi. Le spectateur comprend très vite qu’il est face à une fresque romanesque (tout en étant réaliste) parfaitement exécutée, où les histoires s’entremêlent sans jamais s’entrechoquer.
Le film prend le temps, sans jamais être long, saute des années pour mieux se concentrer sur d’autres périodes de vie et sa grande force réside dans ses deux acteurs : Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste. «Je ne savais pas qu’ils étaient amis dans la vie, ce qui explique beaucoup l’alchimie entre eux», confiait-elle. «En revanche, ils n’ont jamais joué un couple et, ça, ça m’intéressait. J’aime, film après film, proposer des challenges à mes acteurs.»
Le Temps d’aimer, de Katell Quillévéré.