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[Cinéma] L’amour à la machine


Trois époques pour une même impasse amoureuse : La Bête rappelle que Bertrand Bonello aime les films conceptuels. (photo Carole Bethuel)

L’intelligence artificielle est un horizon «terrifiant» pour le cinéaste Bertrand Bonello qui, dans La Bête, raconte le pouvoir des machines dans un film de science-fiction mêlant peur et amour.

L’intelligence artificielle est un horizon «terrifiant» pour le cinéaste Bertrand Bonello, qui convoque cette technologie dans La Bête, un voyage hallucinatoire à travers le temps avec Léa Seydoux. Le film, qui emprunte à l’esprit de David Lynch, était présenté en compétition à la dernière Mostra de Venise. Naviguant entre les années 1910, le contemporain et l’an 2044, lorsque l’intelligence artificielle aura pris le contrôle de l’humanité pour la rendre moins sentimentale et plus rationnelle, le film est très librement adapté d’une nouvelle de Henry James, La Bête dans la Jungle.

 

À Venise, le film a vu sa promotion réduite au minimum en pleine grève de Hollywood, les acteurs et scénaristes s’inquiétant justement d’être mis au chômage et remplacés dans le futur par l’IA générative. «Quand j’ai écrit le film, j’étais loin de me douter qu’il serait projeté l’année où l’intelligence artificielle deviendrait un sujet de société et un motif d’inquiétude», a expliqué le réalisateur, figure d’un cinéma d’auteur parfois exigeant (Saint Laurent en 2015 ou encore Nocturama l’année suivante).

Léa Seydoux, actrice à «l’abandon»

«Évidemment, ça fait peur, parce que vu la puissance de l’outil, ça engage des considérations éthiques, morales et politiques», poursuit-il. «Par définition, l’humain doit être maître de l’outil. Si c’est le contraire, ce n’est pas bien! La relation entre l’humain et la machine est très délicate et dangereuse, et là, on monte d’un cran.» Le cinéaste de 55 ans a lui-même testé la génération de contenu : «J’ai dit à l’intelligence artificielle de m’écrire un scénario à la Bertrand Bonello!», confie-t-il.

Résultat ? «Ça sort quelque chose en cinq secondes, qui n’est pas absurde, sans être génial. Je n’irais pas chercher un scénario, là. Mais oui, ça peut faire le travail.» La peur d’un malheur à venir, c’est également l’un des thèmes du film, mêlé à l’amour, comme dans la nouvelle d’Henry James, «l’un des mélodrames les plus déchirants qui existe», selon le réalisateur. Ce texte a déjà inspiré plusieurs artistes, dont Marguerite Duras, François Truffaut et plus récemment un réalisateur autrichien, Patric Chiha, qui en a sorti une version avec Anaïs Demoustier.

Cette fois, c’est une star connue à l’international, en l’occurrence Léa Seydoux, qui endosse le rôle central, à la fois intense et mystérieuse. «L’abandon, c’est sa méthode. Elle est intemporelle tout en étant très moderne. Même si la caméra est là pendant deux heures sur elle, il reste quelque chose qu’on ne saisit pas», confie Bertrand Bonello. Dans La Bête, l’actrice de La Vie d’Adèle et des derniers James Bond incarne une artiste qui doit replonger dans ses souvenirs pour les purger de tous sentiments, en replongeant dans ses vies antérieures.

Le fantôme de Gaspard Ulliel

Entre amour et terreur, elle va alors revivre ses émotions pour un homme qui traverse le temps, Louis, incarné par le Britannique George MacKay (vu dans 1917). Surnaturel sans tomber dans le mystique, le film tisse des liens à travers le temps. Les personnages féminins mystérieux, les indices et motifs cachés dans le décor rappellent fortement le David Lynch de Mulholland Drive ou de Twin Peaks.

Le film se conclut par un hommage à Gaspard Ulliel, mort accidentellement à 37 ans en 2022. L’acteur, qui fut le Yves Saint Laurent de Bonello en 2015, devait tenir le rôle qui a finalement échu à George MacKay. «Il est mort un mois avant le tournage. On a décidé de repousser le film, mais de le continuer quand même. On ne voulait pas le remplacer par un acteur français, pour ne pas qu’il y ait de comparaison. On a décidé d’aller ailleurs», en faisant auditionner des Anglo-Saxons, avant de choisir MacKay, a confié le réalisateur.