Situé dans les brumes menaçantes d’Islande, Lamb, le premier film de Valdimar Jóhannsson, invente une légende nordique moderne. Un ovni fantastique dans lequel on retrouve Noomi Rapace, plus habitée que jamais.
Dans une édition historique du festival de Cannes où le cinéma de genre fait main basse sur la Palme d’or (Titane, de Julia Ducournau), le jury de la sélection Un certain regard attribue à Lamb le prix de l’originalité.
L’heureux hasard qui voit les deux films distingués par une récompense prouve qu’il y a bien une nouvelle génération de cinéastes qui questionnent tout à la fois le transhumanisme, étape suivante de la condition humaine, et la maternité, étape première, le tout en faisant éclater la notion de genres et devenir, donc, inclassables.
D’une certaine manière, Lamb est le cousin islandais de Titane, où ce n’est plus la machine qui fait corps avec l’humain, mais la nature.
L’Islande est un pays de mythes et de légendes. Le folklore y est partout, y compris dans le film que Maria (Noomi Rapace) et Ingvar (Hilmir Snær Guðnason) regardent à la télévision. Forcément, il fait irruption dans le quotidien silencieux de leur ferme du nord du pays, là où le jour dure six mois et la nuit les six autres.
Lorsqu’une de leurs brebis met bas, le couple n’accueille pas un nouvel agneau mais une créature hybride, qu’ils décident de garder et d’élever comme leur enfant. Mais le bonheur que le couple retrouve va rapidement être menacé…
Lamb «s’inspire beaucoup des contes populaires islandais», écrit le réalisateur, Valdimar Jóhannsson, dans les notes d’intention du film. «Pas un en particulier, mais un mélange.» À 43 ans, l’Islandais signe avec Lamb son premier film, après avoir occupé ces deux dernières décennies de nombreux métiers de technicien derrière la caméra : électricien, décorateur, assistant cadreur, technicien effets spéciaux…
Il a dit avoir loué ses services «à peu près à tous les réalisateurs islandais», mais est surtout appelé lorsque de grosses productions américaines viennent poser leur tente en Islande, de Flags of Our Fathers (Clint Eastwood, 2006) à Rogue One : A Star Wars Story (Gareth Edwards, 2016), en passant par Prometheus (Ridley Scott, 2012) ou encore la série Game of Thrones.
C’est en 2010 que Valdimar Jóhannsson fait une rencontre décisive avec l’écrivain et poète islandais Sjón – également auteur de nombreux textes pour Björk –, à qui il présente une série de dessins assemblés en une sorte de roman graphique dans le but d’en faire un film. La collaboration dure plusieurs années et ensemble, ils écrivent le scénario de Lamb. Un film où le silence est constant, amenant autant d’apaisement que d’angoisses.
Un film à l’écriture formidable, dévoilant intelligemment ses surprises et le passé de ses protagonistes. Un film où les images, sublimes, baignent dans la lumière naturelle avant d’être rattrapées par l’épaisse brume menaçante… «Le cinéma est un langage universel, déclarait Valdimar Johannsson au site internet RogerEbert.com. Le cinéma donne à voir les mêmes choses à tout le monde, peu importe d’où elles viennent.»
Dans ce cauchemar en plein jour (même la nuit, donc), on retrouve Noomi Rapace plus habitée que jamais, dans son meilleur rôle depuis Babycall (Pål Sletaune, 2011). Le réalisateur est allé rencontrer la star de Millenium dans son appartement londonien pour lui présenter la même série de dessins qu’il avait montré, quelques années plus tôt, à son coscénariste : «J’ai immédiatement senti que c’était le film que je voulais faire», confiait-elle au magazine américain Fangoria.
Le cinéma est un langage universel. Le cinéma donne à voir les mêmes choses à tout le monde, peu importe d’où elles viennent
À Télérama, l’actrice suédoise déclarait : «Valdimar Jóhannsson m’a proposé une aventure où tous les moyens sont permis. (Maria) fait corps avec la nature, avec les animaux. Elle et la mère de l’agneau sont presque semblables. J’ai senti le côté primitif, animal en moi. C’est une formidable métaphore sur un accident de la vie et la volonté de vouloir survivre.»
Les animaux dans Lamb sont réels et le recours aux effets spéciaux a été limité au strict minimum. Une manière de reconnecter avec la nature pour Valdimar Jóhannsson et Noomi Rapace, qui ont tous deux grandi dans des fermes islandaises. «Rien dans ce monde ne m’était étranger, a affirmé l’actrice… À l’exception de la créature (elle rit)!» Cette dernière permet à Maria d’entamer «un processus de guérison» filmé avec une certaine émotion, beaucoup d’humour à froid et un soupçon de discours antispéciste.
«Cela fait ressortir toute la tendresse et la brutalité qu’il y a en elle.» Noomi Rapace a par ailleurs expliqué qu’après le tournage du film, en septembre 2019, l’intensité de son rôle l’a amenée à se retirer de tous ses engagements jusqu’à la fin de l’année. «Puis le covid est arrivé», mais, dit-elle, «ce fut une bonne interruption». «J’ai senti que je m’étais reconnectée avec beaucoup de choses en moi. (Ce film) m’a changée (…) Mes choix sont différents désormais. Donc ça vit toujours, les ondes de choc de Lamb vivent toujours en moi.»
Lamb,
de Valdimar Jóhannsson
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