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[Cinéma] Ladj Ly, la tête dans les étoiles, les pieds à Montfermeil


Le réalisateur a onze nominations aux César de fin février. (Photo AFP)

C’est l’histoire d’un enfant d’immigrés maliens grandi dans une cité ghetto qui choisit un jour « d’exprimer sa colère » avec une caméra et se retrouve sur un tapis rouge à Hollywood. Un conte de fées loin de la réalité des banlieues que Ladj Ly, 39 ans, dénonce sans relâche.

Prix du jury à Cannes, lancement de son école de cinéma, sélection aux Oscars, passage du cap des deux millions d’entrées… L’année 2019 aura été celle des « Misérables ». Et celle de Ladj Ly. Avec les Oscars dimanche, et onze nominations aux César fin février, 2020 pourrait l’être aussi. Une irrésistible ascension qui ne laisse pas d’étonner ce taiseux, viscéralement attaché à son fief de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), décor de son long-métrage, mais aussi du roman de Victor Hugo. « La misère sociale y est toujours la même », affirme-t-il. C’est là, dans la cité des Bosquets – où il est arrivé à l’âge d’un an et vit toujours avec sa femme, leurs trois enfants, non loin de sa mère et de ses frères et sœurs -, que Ladj Ly trouve son salut en achetant une caméra.

Le documentaire, sa spécialité  

Il vient d’abandonner le BEP électrotechnique où il a échoué, comme la plupart de ses camarades: « On était voués à être de la main d’oeuvre, à prendre la relève de nos parents », dit ce fils d’un éboueur et d’une mère au foyer. « Parmi mes copains d’ici, aucun n’a le bac. Ceux de Paris l’ont tous: comment expliquer ça? », disait-il en 2018. Pendant un an, en 2005, après les violences déclenchées par la mort de deux adolescents dans un transformateur électrique dans la ville voisine de Clichy-sous-Bois, Ladj Ly scrute son quartier (« 365 jours à Clichy-Montfermeil »). Avant de se spécialiser dans le documentaire (« 365 jours au Mali », « Chroniques de Clichy-Montfermeil », « À voix haute »…), il pratique aussi le « Copwatch », qui consiste à filmer les interpellations.

Un jour de 2008, il assiste à une bavure et transmet sa vidéo à la presse. Les policiers seront condamnés. C’est cette histoire qui a inspiré « Les Misérables », où un enfant — interprété par le fils aîné du réalisateur — filme une bavure, étincelle qui embrase une cité en permanence au bord de l’explosion. Son salut, le réalisateur l’a aussi trouvé en intégrant le collectif « Kourtrajmé », fondé par une poignée d’amis d’enfance (Kim Chapiron, Romain Gavras…) qui rêvaient de faire des films après la brèche ouverte par « La Haine » de Mathieu Kassovitz, en 1995. « C’est Ladj qui nous tire tous », dit son pote JR, auquel il a ouvert les portes des Bosquets, où l’artiste a réalisé ses premiers collages sauvages. « Ladj est extrêmement loyal. Donner le remplit plus que de prendre, et il a l’obsession de ne rien devoir à personne », dit une de ses proches collaboratrices.

Son école, un rêve depuis 15 ans

Dans le parcours de Ladj Ly, il y a aussi cette peine de trois ans de prison pour « enlèvement et séquestration ». Une affaire dans laquelle il a toujours clamé son innocence. Après des articles affirmant à tort qu’il avait été condamné pour « complicité de tentative de meurtre », publiés au lendemain de l’annonce de sa pré-nomination aux Oscars, il a porté plainte contre les magazines Valeurs actuelles et Causeur. Lors de son procès en 2011, le cinéaste Costa Gavras était venu témoigner en sa faveur, comme les membres du collectif Kourtrajmé. Cette solidarité et cet esprit de bande, c’est aussi ce qu’il veut inculquer aux élèves de l’école qu’il a créé à Clichy-sous-Bois, gratuite et accessible sans condition d’âge ni de diplôme, un rêve qu’il nourrissait depuis quinze ans.

À la mi-janvier, lors de sa deuxième rentrée, Ladj Ly s’est excusé de ne pas avoir été « très disponible ces derniers mois ». Ému face à tous ses élèves réunis, il leur a promis que « l’école ne les lâcherait pas ». « Il n’a pas oublié d’où il vient, il n’a pas pris la grosse tête. Il est toujours là pour les gens du quartier », témoignait une de ses anciennes camarades de classe lors d’une projection dans le gymnase de Montfermeil, la ville ne disposant d’aucun écran de cinéma. Quand que le tourbillon des « Misérables » sera passé, il s’attellera à l’écriture de son prochain film. Deuxième volet d’un triptyque consacré à… Clichy-Montfermeil.

AFP/LQ