Dans Pig, en salle aujourd’hui, Nicolas Cage part à la recherche de son cochon truffier, kidnappé. Le dernier rôle marquant et insolite d’une carrière qui a vu autant de hauts que de bas.
Nul autre que Nicolas Cage n’aurait pu donner l’épaisseur – et, étonnamment, la retenue presque catatonique – nécessaire au personnage de Rob, le protagoniste du premier film de Michael Sarnoski, Pig. Ex-chef cuisinier vivant désormais en ermite dans la forêt sauvage de l’Oregon, Rob est forcé de retourner à la civilisation pour une mission : retrouver son cochon truffier, une superbe femelle Kunekune qui est aussi sa seule amie. Si l’on associe quasi systématiquement aujourd’hui l’acteur américain aux centaines de mèmes qui inondent internet, le représentant dans ses moments les plus excessifs, c’est négliger que durant les vingt premières années de sa carrière, il fut considéré comme l’un des meilleurs acteurs de sa génération.
Avec lui, la frontière entre l’acteur et l’homme semble n’avoir jamais été aussi floue. Il existe autant de Nicolas Cage que de rôles joués par Nicolas Cage, soit une centaine environ. Ce que confirment ses apparitions publiques, où il apparaît vêtu d’extravagantes tenues en crocodile ou de flamboyantes vestes en cuir colorées, quand il n’opte pas pour le chapeau d’aventurier, les chemises brodées de motifs sur le thème du casino ou le look «professeur d’arts martiaux». Il a été, à un moment donné de sa vie, chacun de ces personnages. Mais cela n’est peut-être vrai, en définitive, que de Pig, avec cet antihéros et perdant magnifique qui s’est réfugié loin de la civilisation, où sa célébrité n’a pas de sens. Voilà bien des années que Nicolas Cage est lui-même parti d’Hollywood pour passer la plupart de son temps à l’écart du monde, dans l’aridité du désert des Mojaves. Un autre portrait, plus exagéré, mais qui dévoile joliment l’âme de l’acteur, est celui que son ami Jim Carrey fait dans Mémoires flous, le récent et excellent roman coécrit avec l’auteur Dana Vachon.
Gloire et démesure
Sa personnalité excentrique et sa descente aux enfers cinématographiques, à partir des années 2000, ont fait que l’on n’accorde plus tellement de crédit à ce qu’il a encore à raconter. Il reste pourtant l’une des voix les plus justes quand il s’agit de pointer du doigt les vices et travers du système hollywoodien, qu’il accuse d’installer un «climat de peur» empêchant les plus jeunes auteurs, et les plus indépendants, de s’exprimer pleinement face à des exigences de plus en plus étouffantes de la part des studios. Nicolas Cage n’est pas la première star à avoir pris ses distances avec Hollywood – le même Jim Carrey cité plus haut en est un autre exemple notoire – mais, n’ayant jamais cessé de tourner et plus conscient des réalités de l’industrie depuis qu’il est devenu une icône du cinéma indépendant, il est la personnalité la plus symptomatique d’un système qui tend à l’autodestruction. Peu y ont survécu; lui, oui.
Cela ne fait aucun doute : l’époque où il partageait l’affiche avec Sean Connery (The Rock), John Travolta (Face/Off) ou Dennis Hopper (Red Rock West) est depuis longtemps révolue. De même que celle où il était dirigé par Martin Scorsese (Bringing Out the Dead), les frères Coen (Raising Arizona), David Lynch (Wild at Heart), Brian De Palma (Snake Eyes), Ridley Scott (Matchstick Men) ou Spike Jonze (Adaptation.), sans parler de son propre oncle, Francis Ford Coppola. Le faste de cette double décennie, entre les années 1980 jusqu’aux premières années 2000, a induit à la création d’un monstre, pas seulement de cinéma, mais un danger pour lui-même. Et la chute s’est précipitée quand chaque centime par lui gagné était dépensé compulsivement pour la gloire et dans la démesure la plus totale. Jets privés, yachts et voitures de sport, ses achats les plus excentriques continuent de faire lever les sourcils : la maison d’une tueuse en série de La Nouvelle-Orléans, Delphine LaLaurie, soi-disant hantée depuis que l’ancienne propriétaire, au début du XIXe siècle, y a torturé et tué une centaine d’esclaves; un château du XIe siècle au cœur de la forêt bavaroise; des crânes d’animaux préhistoriques, dont un dinosaure et un ours; ou encore une pierre tombale haute de trois mètres, en forme de pyramide.
Résurrection d’une icône
L’idée de lui donner un cochon pour seul ami sied parfaitement à Nicolas Cage : la relation au cœur de Pig apparaît à certains égards comme l’expression la plus complète de son attitude doucement contestataire, préférant la compagnie de l’animal, qui rend sa solitude plus douce, à celle des porcs et des hyènes qui peuplent la grande ville, dissimulés derrière leur apparence humaine. En sous-texte, comprendre donc que Pig est une métaphore du système qui a fait Nicolas Cage, et dont il s’est éloigné, quelque quarante ans après avoir changé son nom, Coppola, pour se faire sa propre réputation.
Aujourd’hui, le simple nom de Nicolas Cage est la douce évocation d’une icône incontestable, que l’on aime ou que l’on déteste, mais qui continue de fasciner. Son objectif premier atteint assez rapidement – c’est déjà au comble de sa popularité qu’il gagne l’Oscar du meilleur acteur pour Leaving Las Vegas (Mike Figgis, 1995) –, il s’attendait moins à devenir une figure manifeste des nanars d’action, qu’il a enchaînés pour rembourser ses dizaines de millions de dollars de dettes. Sa rédemption, à partir du milieu des années 2010 (et des collaborations tant improbables que géniales avec Paul Schrader, Larry Charles, Brian Taylor ou Panos Cosmatos), était encore plus imprévisible : Pig finit de ressusciter Nicolas Cage, qui est rarement apparu aussi pudique et réservé, et, paradoxalement, jamais aussi vivant. Et qui prouve une chose : il n’a jamais perdu le contrôle.
Pig, de Michael Sarnoski.
Valentin Maniglia