Dans Rimini, le cinéaste controversé réunit un crooner autrichien, de vieilles rombières et une fille en colère. Au bout, un étonnant voyage «houellebecquien» plein de spleen et de tendresse.
Les plages italiennes, il les préfère l’hiver, nimbées de brouillard : dans Rimini, en salles aujourd’hui, le cinéaste Ulrich Seidl filme avec une crudité fascinante la solitude d’une ex-vedette de la chanson dans un monde sans amour, ou presque. Abandon de famille, alcoolisme, félonie, appât du gain et chair triste… «Je montre les gens comme ils sont!», a déclaré lors de la dernière Berlinale le réalisateur autrichien, sorte de Houellebecq du cinéma habitué des festivals et des critiques, qui lui ont souvent reproché le sordide de ses œuvres, où rien n’est épargné au spectateur.
Dans Rimini, le cinéaste suit Richie Bravo (incarné par Michael Thomas), un crooner autrichien qui survit en poussant la chansonnette pour 200 euros la soirée à des groupes de retraités, dans des hôtels bas de gamme de cette cité balnéaire de la côte Adriatique. Un style quasi documentaire pour filmer un Casanova pathétique, homme sans honneur, charmeur mais profiteur, hypocrite et prêt à tout monnayer.
« Un chanteur dont l’âge d’or est passé depuis longtemps »
Le film s’ouvre juste après le décès de la mère de Richie Bravo. Ce dernier vient rendre visite à son père, atteint de démence, dans la maison de retraite où il finit ses jours, marmonnant des chants nazis. Manière de signifier qu’il n’y a plus rien à sauver dans son Autriche natale, que Richie Bravo a quittée pour s’installer dans une villa à la décoration kitsch, son «bateau pirate» de Rimini.
Richie Bravo «est un chanteur dont l’âge d’or est passé depuis longtemps. Il distrait des groupes de touristes âgés qui vont chercher un peu de plaisir à Rimini», a expliqué le réalisateur. Ce antihéros semble incapable d’établir une relation saine avec quiconque : ni les femmes qu’il séduit avant de leur faire payer ses services sexuels, ni les Italiens qu’il côtoie, encore moins les demandeurs d’asile qui errent dans les rues désertes.
Ulrich Seidl n’estime pas avoir tourné un film moins «pessimiste» que ses précédents opus, notamment le trio Paradis : Amour, Paradis : Foi et Paradis : Espoir, sur l’obésité adolescente, le tourisme sexuel ou le fanatisme. Et pourtant, le réalisateur parvient à cultiver dans ce terreau désolé une petite graine d’amour improbable, entre Richie Bravo et sa fille Tessa, qui avait coupé les ponts avec lui 18 ans plus tôt et surgit de nulle part pour lui demander des comptes.
Je montre les gens comme ils sont!
Deux personnages paumés en quête de bonheur, qui finiront malgré tout par s’apprivoiser, au rythme kitsch des chants d’amour entonnés par la vedette déchue. Richie Bravo «est gros, il est alcoolique, il travaille comme gigolo (…) Ce sont des choses qui ne vous attirent pas normalement, mais à la fin vous éprouvez de la sympathie pour lui», a encore souligné Ulrich Seidl, dont le film se veut aussi une réflexion sur le passé qui nous rattrape toujours.
Aux détracteurs qui lui reprochent de se vautrer dans la laideur et le lugubre, Ulrich Seidl répondra toujours : «La question, c’est plutôt : qu’est-ce que la laideur et qu’est-ce que la beauté?». «Est-ce que la beauté, c’est vraiment des plages d’été bondées avec des millions de transats et de parasols», interroge-t-il, «ou est-ce que ce n’est pas la mer en hiver, nimbée de nuages et aux plages désertes?».
Le film est le premier volet d’un dyptique, dont le deuxième, Sparta, qui évoque un entraîneur autrichien de judo qui tente de lutter contre ses tendances pédophiles en refaisant sa vie dans une région reculée de Roumanie, devait être présenté au dernier festival de Toronto. Avant d’être déprogrammé, à la suite des accusations de mauvais traitements d’enfants lors du tournage, niées formellement par le réalisateur.
Rimini, d’Ulrich Seidl.