À 91 ans, Clint Eastwood remonte une dernière fois en selle : dans Cry Macho, l’icône du cinéma américain réfléchit à son passé. Portrait d’un vieux cow-boy qui a toujours suivi son propre chemin.
Quand il lui remit le César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière en 1998, le cinéaste franco-suisse Jean-Luc Godard, en guise de félicitations, glisse simplement deux mots à Clint Eastwood : «Be yourself» («Soyez vous-même»). Un credo qui définit bien l’acteur et réalisateur américain, puisqu’il a régi sa vie et sa carrière, commencée au milieu des années 1950 dans de minuscules rôles sur grand et petit écran, souvent non crédités, et qui a continué à lui servir de profession de foi jusqu’à aujourd’hui.
Âgé de 91 ans, Eastwood sort aujourd’hui sa nouvelle réalisation, dont on ne peut même pas parier qu’elle sera la dernière. La preuve : il a tourné Cry Macho envers et contre tous à l’automne dernier, en pleine pandémie de covid-19, alors que les tournages ne reprenaient encore que très prudemment.
Sa silhouette élancée a beau être devenue au fil du temps filiforme et décharnée, Clint Eastwood n’a pourtant jamais rien perdu de son énergie ni de sa productivité : ce trente-neuvième film coïncide avec le cinquantième anniversaire de son passage derrière la caméra – ses premiers pas de réalisateur, il les a faits avec l’excellent thriller Play Misty for Me, sorti en novembre 1971 –, période durant laquelle il a même parfois enchaîné deux longs métrages la même année, comme, par exemple, en 2009 (Gran Torino et Invictus) ou en 2018 (The 15:17 to Paris et The Mule).
«Meilleur que Delon»
Ce n’est pas un hasard si Godard a été choisi par l’Académie des César pour lui remettre la fameuse récompense honorifique : il y a une sorte d’impossible miroir entre le chantre de l’art et essai – qui écrit tous ses films – et le dernier mandataire du cinéma classique américain – qui porte à l’écran le travail de scénaristes –, dont les deux carrières prolifiques ont été semées d’échecs, mais que leurs auteurs tiennent à considérer dans leur ensemble.
Eastwood se réclame de John Ford, d’Howard Hawks ou de Raoul Walsh, des réalisateurs que Godard et sa bande des Cahiers du cinéma étaient les premiers à élever au rang d’auteurs (ce qu’Eastwood se défend d’être, à tort).
Le dernier cow-boy, qui a côtoyé de près le cinéma européen au début de sa carrière, quand Sergio Leone l’a propulsé au rang de star mondiale, n’a jamais caché non plus son admiration pour À bout de souffle (1959); à son tour, le réalisateur de ce dernier a répété aimer le cinéma d’Eastwood, mais surtout ses prestations d’acteur, dont il disait, dans une de ses savoureuses provocations, qu’elles étaient «meilleures que Delon dans son genre».
Les rôles d’Eastwood, dans ses propres films ou dans ceux des autres – Don Siegel et Sergio Leone, ses deux réalisateurs fétiches, sont à prendre en exemple –, ont établi des archétypes maintes fois copiés ou caricaturés. Citons simplement le personnage de l’Homme sans nom, l’impénétrable hors-la-loi au verbe laconique qu’il a incarné à trois reprises chez Sergio Leone, ou son double inversé, l’inspecteur Harry Callahan, flic réactionnaire, ultraviolent et généreux en phrases-chocs.
Mais l’acteur, plus insaisissable qu’il n’y paraît, a toujours tenté de se défaire de ses personnages cultes dès lors qu’il se sentait prisonnier d’eux, et n’a jamais hésité à renverser les tendances et à montrer avec honnêteté ses faiblesses.
Cinéaste humaniste
Cry Macho est, à juste titre, une réflexion sur la vulnérabilité masculine, que son personnage, l’ex-star de rodéo Mike Milo, sera contraint, dans son grand âge, de révéler et d’accepter. Mais ce n’est pas la première fois que Clint Eastwood se frotte au sujet, quoique différemment : dans Play Misty for Me, l’animateur de radio qu’il joue est traqué par une femme psychopathe, et dans The Beguiled (Don Siegel, 1971), il est un antipathique soldat de la guerre civile recueilli dans un internat de jeunes filles, dont il deviendra l’objet du désir au péril de sa vie.
Dans son nouveau film, on l’entend dire : «Ce truc de macho, c’est surfait (…) C’est comme tout dans la vie : tu crois avoir toutes les réponses, puis en vieillissant, tu te rends compte que tu n’en as aucune.» «Be yourself», en toutes circonstances.
Depuis les années 1990, le cinéma de Clint Eastwood s’est fait plus humaniste; l’engagement politique du natif de San Francisco, connu pour être républicain, n’a d’ailleurs jamais été à prendre au pied de la lettre.
Cry Macho, sans être raté, n’est pas son film le plus mémorable, mais il a toute sa place dans la filmographie du «dernier classique», réfléchissant à ce que fut Eastwood et ce qu’il en reste, avec des renvois aux personnages, aux thèmes et aux films qui ont émaillé sa carrière : Un monde parfait (1993) et sa fausse relation père-fils née d’un kidnapping; Gran Torino et la question des divergences de cultures, rapprochées dans une rencontre entre un vieil homme et un adolescent; mais aussi Bronco Billy (1980), The Bridges of Madison County (1995), The Mule…
Clint Eastwood avait mis en scène sa propre mort dans Gran Torino, comme une allégorie de la fin de sa carrière d’acteur. Depuis, il a joué dans trois films. Peut-être qu’après tout, mourir à l’écran ne lui convenait pas. Que ses adieux devaient se faire de façon plus poétique. Que son cinéma devait finir par arriver à ce moment précis, celui où, dans le dernier plan de Cry Macho, il partage une danse avec un amour retrouvé. Un instant de douceur pour un nouveau départ…
Valentin Maniglia
Cry Macho, de Clint Eastwood.